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Chapitre : La dynamique de contestation progressive des limites d’admissibilité à l’aide médicale à mourir - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Chapitre : La dynamique de contestation progressive des limites d’admissibilité à l’aide médicale à mourir

(Tome Premier : l’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : La dynamique de contestation progressive des limites d’admissibilité à l’aide médicale à mourir)

L’Honorable Christine Baudouin, auteur de la décision de la Cour Supérieure du Québec en faveur des demandeurs, Jean Truchon et Nicole Gladu, 2019

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     Pour commencer, une première contestation de la loi fédérale s’articule déjà autour de l’obligation du candidat au suicide médical d’être atteint d’une maladie en phase terminale (« mort naturelle devenue raisonnablement prévisible »). Ce critère se veut particulièrement sévère ; entre autres, il empêche l’euthanasie pour les seules conditions psychiatriques. Dans son absence, nous assisterions bientôt à l’ironie suprême de l’euthanasie volontaire employée en soin de prévention de suicide ! Pourtant, il est absent de la décision Carter et quelque peu moins explicite dans la loi Québécoise. Il fut possiblement nécessaire pour permettre l’adoption de cette loi au Parlement Canadien. Mais est-ce qu’il résistera à l’examen devant la cour ?

    En fait, il semblerait très peu probable au moment d’écrire ces lignes, car un jugement de la Cour Supérieure du Québec (Truchon-Gladu, 2019), aurait déjà déclaré cette condition invalide, et alors, seulement un appel à la Cour Supreme du Canada pourrait la sauver ; et les espoirs, de ce côté-là sont plutôt minces.)

     Or, imaginons, à ce sujet, le cas d’une personne accablé de souffrances « intolérables » qui mourrait naturellement dans quelques jours. Les exigences de « souffrance » et de « mort prévisible » seraient clairement satisfaites. Soit. Mais imaginons maintenant une personne, sujet à des souffrances tout aussi atroces, mais qui ne se trouverait aucunement menacée d’une mort imminente ou même rapprochée. Imaginons, au contraire, que cette personne puisse s’attendre à vivre encore pendant une période indéfinie. Peut-on réellement croire que les cours de justice supporteront longtemps une distinction légale qui permettrait l’euthanasie, à l’un, afin de lui épargner quelques jours de souffrance, tout en refusant cette option à l’autre, qui devrait supporter un mal égal, pendant plusieurs années, voir des décennies ?

     La notion me semble absurde. Alors nous risquons, et possiblement à court terme, l’invalidation complet de cette loi, ce qui pouvait provoquer un scenario d’impotence législative similaire à ce que nous ayons connu avec l’avortement, suivie d’une pratique des plus anarchiques.

     Mais, même au cas où nous nous parvenions à maintenir une feuille de vigne médico-légale pour « limiter » la pratique de l’euthanasie, quel peut être son efficacité réelle quand celle-ci dépende des termes aussi vagues que « souffrances intolérables (selon la définition subjective du personne souffrante) » ?

     En somme, l’exemple historique de l’avortement, originellement conditionnelle aux risques à la « santé » de la mère, serait on ne peut plus révélateur : la notion de « souffrance » serait surement élargie progressivement dans la pratique pour inclure quasi-automatiquement toute demande provenant d’un individu qui soit jugé compètent.

     Comment, en effet, peut-on prétendre quantifier la souffrance d’autrui ? Alors, tout comme les médecins d’il y a quarante ou cinquante ans, qui rendaient laborieusement leur avis sur la « santé » de la mère, il n’y aurait bientôt plus personne qui oserait substituer son propre jugement pour celle du premier concerné sur le sens, tant personnel, de la « souffrance ».

     Mais de toute façon, surtout –et exactement à l’image de l’avortement — le vrai moteur de la mort volontaire ne s’est jamais relevé de la médecine. Car tel qu’illustré par la déclaration de principe de l’euthanasiste Australien Philip Nitschke, (cité dans un chapitre précedent) : cette mouvance prend son élan dans l’affirmation simple — non encore avouée par nos décideurs, peut-être, mais, parfaitement limpide dans la littérature des demandeurs — d’un droit inconditionnel, de tout individu compètent, de disposer de sa propre personne.

     Inévitablement alors, nous reconnaitrons avec le recul, les exceptions actuelles de départ comme des simples agents chimiques de changement légaux. Leurs effets résident, non pas dans leurs définitions précises, mais dans leur simple existence (à l’image des symboles algébriques utilisés métaphoriquement ci-haut) ; Ou encore à l’image d’un gaz libre, qui, une fois introduit dans l’espace juridique, poursuivra son expansion jusqu’à ce qu’il aurait remplie tout l’espace disponible, et ne s’arrêtera qu’au contact d’un paroi logique infranchissable.

     Voilà, en fait, la force réelle derrière la revendication de ce droit à mourir : nous ne nous trouvions aucunement devant un souffle légère qui puisse être limitée par l’écran (plutôt diaphane), qui fut laborieusement construit en papier de soie conceptuel autour des critères dits « sérieuses ». Pas du tout. Nous nous trouvons, au contraire, sous la pression d’une mouvance séculaire, d’étendue inconnue : une énorme vague de fond sociale et philosophique qui nous pousse vers une justification de comportement personnel, non en fonction des besoins collectifs, ni en fonction de spéculations morales, mais simplement en fonction de la subjectivité individuelle.

     Et nous connaissons déjà très bien cette force ! Car nous possédons l’expérience immédiate d’un siècle de transformation, ou quasiment toutes les balises traditionnelles de la vie individuelle furent balayées, et dont l’interdiction du divorce, la suppression de l’homosexualité, et la criminalisation de l’avortement – tous répudiés de nos jours — nous en fournissent d’exemples des plus édifiants. Or, le droit à mourir, qui soit aujourd’hui réclamé par les ténors de la liberté, s’inscrit dans une continuité parfaite avec ces précédents puissants.

     La question se pose, de nouveau, alors, à savoir : où se trouvent, au juste, la barrière fiable qui puisse arrêter l’expansion de ce souffle de nouveauté ? Ou, en termes de la fameuse pente redouté, s’arrêtera la glissade ?

     Or, n’en déplaise à ceux qui se fient toujours aux critères de départ (ou même à d’autres encore plus strictes), devant les exemples historiques fournis, et face aux failles dans la logique interne, déjà évidentes chez les lois existantes, je crois que la réponse est assez claire : Surement pas du tout (en ce qui concerne l’euthanasie volontaire) ; nous pouvons lucidement voire toute limite comme temporaire ; et nous pouvions nous attendre, avec confiance, à ce que cette pratique devient – et rapidement — aussi subjectivement libre que le sont, aujourd’hui, le divorce et l’avortement.

     (En fait, il se peut même que dans la mesure ou la fiction légale d’une justification médicale et objective soit retenue, le seul effet, éventuellement, serait une marginalisation accrue des malades et des handicapés non-suicidaires, sans limiter, pour autant, le phénomène d’assistance au suicide.)

     L’illusion, d’ailleurs, de pouvoir limiter la pratique de suicide assisté par la voie de « critères » et de « sauvegardes » médicaux se révèle d’autant plus décevante quand nous examinons ce phénomène, non pas comme une série de distinctions judicaires auxquelles on accorderait naïvement un caractère efficace, mais plutôt avec un regard objectif sur la réalité de ce qui se fait, actuellement, couramment, et avec une parfaite immunité face aux sanctions légales, depuis au moins un demi-siècle.

     Car en réalité, nous nous trouvons déjà au pied de l’affreuse pente décrite, en train de nous amuser avec la discussion des probabilités d’une chute que nous aurions déjà subi — pas en théorie mais au plan du réel. Et tel serait le sujet de notre prochain chapitre.

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L’auteur, au Palais de Justice, en entrevue avec La Journal de Montréal, à l’appui de la partie défenderesse

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : l’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : L’ampleur du suicide assisté malgré les lois existantes, ou :  Au-delà de la théorie, la vraie vie)

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