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À la défense des traditions du métier médical - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

À la défense des traditions du métier médical

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : À la défense des traditions du métier médical)

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HMS Discovery (1789) : Longueur – 30 mètres ; Personnel – 94 ; Armement – 10 canons (4 livres), 10 pièces pivotantes (½ livre) ; Maitre à bord – le Capitaine George Vancouver (1757 – 1798) ; montage d’après une aquarelle par Steve Mayo (Canadien, contemporain) et un portrait anonyme (18eme siècle)

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— Responsabilité ; liberté ; et conscience professionnelle

     Au cœur de la tradition médicale — et en contrepartie symétrique avec la responsabilité totale assumée par le médecin devant les attentes du patient (et de son entourage) — se trouvent la prétention millénaire, à peu près unique à cette profession, que chaque docteur puisse agir à sa guise : à l’intérieure de limites des plus larges ; selon sa méthode choisie ; et selon son évaluation personnelle des intérêts du patient. Ce serait, en effet, le principe de la « conscience professionnelle », deuxième en importance dans la hiérarchie de l’éthique médicale ; qui suit immédiatement après le « bien du patient » ; et qui serait, en quelque sorte, le corollaire nécessaire de la poursuite fidèle de ce dernier.

     C’est un principe qui soit représenté, tantôt en droit, tantôt en devoir. Il serait utilisé, parfois, pour affirmer — dans le grand style héroïque — un refus de toute trahison à l’égard du patient, même devant la largesse ou l’intimidation du pouvoir. Mais plus souvent (et bien plus humblement, dans la pratique ordinaire), il signifierait la simple promesse de poursuivre véritablement le bien du patient, non pas dans un esprit tordu de sophisme intéressé, mais sincèrement, dans la pureté idéalisée de son « âme et conscience ».

— Une éthique où l’intention prime par nécessité

     Pourtant, cette profession d’intention identitaire, tant élevée en soi, porte également en elle le reflet d’une conclusion, nécessaire peut-être, mais aussi quelque peu amère : un constat né dans les millénaires d’expérience, vécus devant la complexité — je dirais même devant l’impossibilité — de l’entreprise médicale : la conclusion que nous nous devions de juger ces professionnelles, plutôt sur l’intention, que sur le résultat de leur travail.

     Car sans une telle générosité lucide, témoignée à l’intérieur de la profession — par chaque pratiquant à son propre égard, et parmi tous à l’égard de leurs pairs – il serait impossible d’imaginer la poursuite pratique de cette quête médicale idéalisée — multimillénaire, toujours renouvelée dans les pires conditions—mais accompagnée, aussi, par des souffrances inestimables.

     Or, de nos jours aussi, ce serait une largesse d’esprit qui nous permette à départager notre dégout instinctif devant la négligence – devant la mal pratique, et l’incompétence simple — d’un sentiment beaucoup plus généreux à l’égard des gestes et des décisions, possiblement désastreuses dans la suite, mais qui sont, à l’origine, les manifestations d’un effort — sincère, rational, et courageux — de poursuivre le bien du patient.

     À la fin, alors, nous ne demandons pas du praticien médical qu’il puisse réussir toujours, ou même qu’il puisse toujours faire les meilleurs choix. Par contre, nous ne pardonnons pas (aussi facilement) les écarts sordides de « conscience » inferieure.

— La médecine préscientifique : un métier sans consignes normatives ; exhibant plus de solidarité que d’homogénéité

     En conséquence, ce que l’on appelait, jadis, l’Art Médical (ainsi que les personnes qui s’y donnaient), n’ait jamais pu être rigoureusement comparé aux autres Guildes, Syndicats ou Corporations. Car le plus souvent, le but de ces rassemblements professionnels fut de garantir la crédibilité de leurs membres, auprès des consommateurs, avec la promesse implicite que leur travail serait uniformément réalisé — d’après la formule d’usage — « selon les Règles de l’Art ». Cependant, en dehors du Serment hippocratique (qui ne régissait que la dimension éthique de la pratique médicale), il n’existait (au moins jusqu’à tout récemment) aucune « règle » qui eut pu garantir la qualité du travail médical accompli ; et certainement pas, du moins, dans le sens que l’on peut indiquer des méthodes millénaires, et universellement reconnues, par exemple, pour assurer la stabilité des murs de maçonnerie.

     Au contraire : à travers la longue période préscientifique, la pauvreté des résultats obtenus encourageait la coexistence de méthodes, aussi ingénieuses — ou fantaisistes — les unes que les autres ; et très souvent : franchement contradictoires parmi elles. Dans ces circonstances il n’eût été à l’avantage de personne à tirer l’attention sur ces faits.  Car selon le proverbe bien connu au sujet des coups de pierre, et des maisons en vitre : les médecins, jadis, favorisaient le sage reflexe de s’abstenir de trop insister sur les faiblesses de leurs confrères, de peur d’inviter de critiques analogues à l’endroit de toute la profession, et donc, à leur endroit personnellement.

— Une continuité dans la période scientifique

     Et si, par chance, nous entendions ici l’objection, que les « normes » de traitement soient devenues plus standardisées de nos jours ; que le côté libre de la pratique médicale s’est restreint d’autant ; que la période de diversité fantaisiste dans la pratique de l’Art Médicale se trouve, maintenant, définitivement derrière nous : je répondrais simplement en indiquant la progression constante des médecines dit « alternatives », avec la prolifération parallèle des « Docteurs », dument formés dans des institutions attitrées, mais dont la dérivation scientifique se trouvent, candidement, en contradiction permanente avec l’école dominante.

     Et la raison en serait toujours évidente : car dans trop de cas (et éventuellement dans tous les cas), les remèdes réelles — capables de tricher à la mortalité — n’existent pas, tout bonnement. Et autant que des remèdes « miracles » se découvrent dans les faits, et repoussent réellement les échéances inévitables, autant la limite des ces remèdes, c’est à dire notre mort éventuelle, reste immuable. Il en résulte, alors, que la créativité inventive, à la rencontre de la crédulité du désespoir, produit toujours des propositions thérapeutiques, des plus variées, qui ne sont pas vraiment contrôlées (et qui ne peuvent jamais vraiment l’être).

     Même à l’intérieure de l’orthodoxie scientifique la plus parfaite, d’ailleurs, et munie de ses outils les plus impressionnants, l’unanimité dans la pratique demeure beaucoup moindre que les observateurs plus crédules seraient portés à croire. Il faudrait, par exemple, avouer sans détour, que la complexité de la tâche médicale se solde encore de nos jours par de différends d’opinion, entre des praticiens également respectés, sans que personne ne peut catégoriquement faire la démonstration que l’un ait raison ou l’autre tort, et ce, concernant des décisions aussi simples, et quotidiennement répétées, que de choisir une prescription pharmacologique appropriée ; de savoir si tel ou tel patient aurait avantage à se reposer plutôt que de s’efforcer au travail ; ou encore, pour citer une situation particulièrement courante et significative : de subir une opération chirurgicale, ou de s’en abstenir.

     Paradoxalement, d’ailleurs (pour ceux qui chercherait une simplicité évidente dans les « faits ») : les libertés, de pensée et d’expérimentation, sont centrales à l’entreprise scientifique ; des hypothèses antithétiques peuvent longtemps coexister dans l’impossibilité d’en établir des conclusions définitives ; et l’émergence de « consensus » précoces peut souvent se révéler plus nuisible, aux connaissances futures, qu’une pluralité de préjugés courants. Et c’est ainsi que la différence, et le respect dans la différence –c’est à dire la liberté maximale des praticiens — serait depuis toujours la première condition de la poursuite scientifique.

— La nature particulière de la médecine clinique

     Cependant, la liberté revendiquée par le médecin clinicien, est d’un ordre tout autre. Car il n’est pas principalement question, ici, d’une science théorique, pratiquée dans la récolte ordonnée de données ; dans l’avancement tranquille d’hypothèses qui trouveraient, peut-être, des applications utiles dans un future plus ou moins rapproché. Non. Le cas particulier, le patient particulier — la vie particulière — se présente habituellement comme un problème unique d’une urgence et d’une complexité qui amènent le clinicien, rapidement, au-delà des certitudes confortables. Assisté, au mieux, par des indices statistiques souvent contradictoires, le médecin doit choisir.

      Dans la majorité des cas, les suites seront incertaines ; et dans beaucoup, la réussite serait impossible sans redéfinir le sens de ce mot. Mais nous nous attendons, tout de même, à ce que le médecin accepte de soigner son patient, et d’en assumer, devant nous, la responsabilité de ses gestes et de leurs séquelles.

— La responsabilité solitaire

     Comprise de cette façon, je crois, la liberté de conscience professionnelle – je dirais même l’honneur intellectuel et éthique du médecin – ainsi que la liberté d’action, et l’autorité sans compromis, qui en résulte dans la pratique, sont non seulement compréhensibles, mais inévitables dans les faits.

     Une analogie utile existe, à cet effet, avec l’équilibre similaire exhibé par le capitaine de navire : qui jouisse aussi, traditionnellement, d’une liberté et d’une autorité essentiellement illimitée ; mais seulement parce qu’il accepte, lui aussi, la responsabilité complète pour le destin de son navire, dont il s’en porterait garant, à la fin, seul, devant l’histoire.

— Le respect, et un réflexe de protection mutuelle

     Peut-on, alors, se surprendre, s’il en eut résulté une situation de fait ou les médecins se seraient protégés mutuellement, en défendant, non une ligne de traitement unique, mais plutôt la liberté pour chaque médecin de chercher une stratégie de traitement appropriée — traditionnellement tempérée, seulement, par le cadre éthique d’inspiration Hippocratique — à la lumière de son expérience personnelle, de son jugement… de sa conscience ?

     Voilà, je crois, dans son essence, la signification et la dignité du statut professionnel médical : tel qu’il s’est développé à travers les siècles ; et tel qu’il serait fièrement vécu — et jalousement défendu — encore de nos jours.

— La relation auprès du patient : la promesse essentielle

     Telle serait, également, la source traditionnelle de la relation de confiance qui fut, idéalement, établie entre le médecin et son patient ; et ce serait dans la construction de cette relation –dans cette équation de liberté professionnelle et de responsabilité – que nous découvrons toute l’importance historique des principes hippocratiques. Car le plus souvent, ce ne furent que ces principes qui pouvaient produire, chez le patient, l’attitude souhaitée de calme devant le destin ; une attitude fondée dans la foi simple, mais puissante, que son médecin — même s’il ne pouvait rien pour le soustraire à la mortalité — agirait scrupuleusement, et avec le plus grand respect, devant le peu de vie qui lui resta.

     Or, ultimement, la fidélité avec laquelle le médecin remplit cette promesse serait la seule constante, qu’il peut réellement garantir, à l’égard de son client.

     Devant le caractère terrible et inévitable de la mortalité humaine, les patients et leurs familles savent intuitivement qu’ils ne peuvent pas toujours attendre un dénouement heureux. Alors, encore plus que le miracle tant espéré (mais si douteux de réalisation) — les clients désirent obtenir les preuves d’une pureté d’intention dans sa recherche ; et pour le médecin, conscient des limites cruelles de ses pouvoirs d’intervention thérapeutiques, la cultivation délibérée d’une réputation incontestable d’intégrité dans cette intention, deviendrait sa qualification professionnelle la plus chère.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : La position épousée, passivement, par la profession médicale)

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