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Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle —  Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée)

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Kathleen (Kay) Carter (19 août, 1920 – 15 janvier, 2010)

Le 6 février, 2015, la Cour suprême du Canada invalida partiellement le code criminel, au sujet de l’homicide, pour permettre le suicide assisté et l’euthanasie (dans des conditions qui dussent être précisées par le Parlement du Canada). Ce fut la cause célèbre « Carter vs Canada ».

Le 30 mai, 2016 fut adoptée, en conséquence, la loi C-14 qui permettait « l’aide médicale à mourir » sous certaines conditions.

Kay Carter, elle-même, par contre, fut déjà décédée au moment du jugement (et de la promulgation de loi qui en résulta), car elle aurait fait appel, plus tôt, aux services d’une clinique privée en Suisse (Dignitas) pour y mourir par voie de suicide assisté, le 15 janvier 2010.

Comble de l’ironie, cependant, même avec le passage de la loi C-14, Mme Carter n’aurait pas été éligible pour l’AMM au Canada, puisque « sa mort naturelle » ne fut pas « raisonnablement prévisible ».

Or, toujours aujourd’hui, le Canada ne permet pas un recours aussi large au suicide assisté que la Suisse. Pourtant, les Suisses n’auraient pas permis, non plus, la transformation totale de leur système de santé par l’euthanasie. Voilà qui met en lumière l’incohérence des motivations derrière la démarche canadienne.

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— L’ébauche d’un chemin qui se révéla tortueux

     Il existe un vieux dictum, courant parmi les légistes, voulant que : « les mauvaises causes font mauvaise loi ». Or, il y aurait fort à croire que cette phrase s’applique, à merveille, aux procès juridiques entreprises autour du droit au suicide assisté (et à l’euthanasie), en commençante avec « Rodriguez » et en cheminant, par « Carter » et « Truchon Gladu » jusqu’à nos discussions présentes.

     Car la logique au fond de toutes ces causes semble exhiber un nature schizophrène, dont les deux caractères se trouvent en opposition irréconciliable. Il eut été très difficile alors (voir impossible), pour les contemporains de la cause originale « Rodriguez » d’en comprendre la véritable signification.

     De plus, le point focal du différend se serait déplacé, dans ces vingt ans de litiges : à partir des arguments plus rationnels et défensables (d’égalité des personnes malades et handicapées), vers ceux qui sont plus émotifs, moins informés, empreints de notions péjoratives de variabilité dans la valeur de la vie humaine, et qui nous conduisit, à terme, vers une redéfinition complète de la mission médicale.

     Comment, en fait, des initiatives originalement présentées pour favoriser l’autonomie personnelle, auraient-elles pu se transformer en régime d’euthanasie systématique, imposé essentiellement contre le gré des personnes admissibles ?

— deux populations ; deux visions

     D’abord, nous trouvions la logique pure de la discrimination, à l’endroit des personnes incapables de se suicider seules. Tel fut (pour remémorer ce fait crucial) le seul élément de la demande Rodriguez qui eut était appuyée par la communauté handicapée. Elle fut prise au sérieux, aussi, par la cour ; mais fut rejetée, cependant, en considération des dommages appréhendés à l’endroit de la société plus large.

     De plus, il fut remarqué, par la cour, que le suicide ne serait pas un « bien » (en soit), auquel les personnes handicapées pouvaient prétendre avoir droit, puisque la décriminalisation des tentatives de suicide (qui permettaient le suicide des bien-portants depuis 1972) s’inscrivit uniquement dans une logique de « réduction de torts » devant un phénomène toujours communément regretté.

     Essentiellement, alors, pour renverser le refus de la cour devant cet argument, aurait-il fallu que le suicide soit admis comme un droit, à toute personne, pour toute raison, ou pour raison aucune. Et jusqu’à présent, au Canada, cette proposition n’aurait jamais su gagner un appui suffisant (hors de la communauté restreinte des activistes qui réclament ouvertement cet option).

     Deuxièmement, cependant, il y avait la prétention qu’une « malade (souffrante) en phase terminale » eût dû avoir la possibilité de « se donner la mort avec l’aide d’un médecin » (sans quoi ladite malade se trouverait « soumise par l’État à une forme … de peine ou traitement cruels ou inusités »).

     En bref, nous retrouvions ici le sentiment tant répandu, parmi les personnes indemnes : que la compassion nous enjoindrait à tuer les souffrantes. Dans l’occurrence, cet argument fut rejeté par la cour, sans plus. Par contre ce serait, néanmoins, cette vision de souffrance qui trouva la plus grande résonance chez l’ensemble des bien-portants contemporains. Et même la cours, intransigeante dans son jugement final, fut sympathique dans sa considération de ces sentiments, telles qu’en témoignent les toutes premières phrases de sa décision :

     L’appelante, mère de famille de 42 ans, est atteinte de sclérose latérale amyotrophique.  Son état se détériore rapidement et bientôt elle sera incapable d’avaler, de parler, de marcher et de bouger sans aide.  Elle perdra ensuite la capacité de respirer sans respirateur, de manger sans subir de gastrotomie et sera finalement alitée en permanence.

     Voilà la description classique d’une « vie invivable ». Et malgré la décision rendue, ce furent les notions de « condition médicale » de « handicap » et de « souffrance » qui demeuraient toujours au cœur du procès. Elles l’imprimèrent, indélébilement, avec une image idéalisée de la mort miséricordieuse, prodiguée non par principe d’égalité, mais en privilège exceptionnel. Et ce qui plus est, cela devint impossible, par la suite, d’effacer la conviction fortement partagée, qu’injustice eut été fait, en ordonnant à cette femme de renoncer à son dessin suicidaire.

— L’évolution d’une loi de « compassion » tragiquement égarée

     Et c’est ainsi que pendant les vingt années qui séparait « Rodriguez » (cause infructueuse, 1993) de « Carter » (intégralement réussie, 2015), les esprits subtils auraient travaillé, avec méthode et patience, pour réarticuler leurs plaidoyers de manière à transformer la défaite en victoire.

     Dans ce court espace de temps, le droit de suicide proposé se serait transformé en accès à « l’aide médicale à mourir » ; toute prétention d’égalité fut écartée, avec une exception explicite, limitée aux seules « conditions médicales » ; l’ambiguïté morale du geste aurait disparu avec l’abandon du mot « suicide » ; et en plus, les scrupules de la morale commune se seraient définitivement esquivés en y substituant l’éthique médical (elle-même redéfinie, non par des médecins, mais par des légistes).

     Tactiquement, aussi, l’idée fut soigneusement privilégiée du caractère « rare » de l’aide médicale à mourir, et de son caractère uniquement volontaire. Pour renforcer cette impression, des critères d’accessibilité sévères (mais impossibles dans la pratique) furent suggérés ; et des procédures onéreuses furent avancées qui aient pu aller jusqu’à l’exigence d’une autorisation judicaire, unique, dans chaque cas. Bien sûr, rien de cela ne tenait du réalisme. Mais comme nous le savions, cette vision séductrice aurait éventuellement emporté la bataille ; invalidé la loi ; et permis, ironiquement, l’inauguration du système normalisé de l’euthanasie maximale, tel que nous la découvrions, au Canada, aujourd’hui.

— Le rejet de ce « privilège » empoisonné, par les bénéficiaires désignés

     Telle que décrite, dans la cause Rodriguez (et par la suite), la clarté des enjeux fut sérieusement compromise par le mélange confus de deux principes : de l’autonomie personnelle ; et du devoir de compassion collective. En apparence, ces deux idées auraient pu sembler complémentaires, puisqu’elles se combinèrent dans un appui mutuel à la demande de Sue Rodriguez. Il s’est produit, même, une malheureuse perception populaire (totalement fausse) que « les handicapés » réclamaient le droit de mourir pour échapper à leur souffrance ; et que la collectivité en porterait le devoir d’assouvir ces désirs. La décision « Carter » d’ailleurs (qui inaugura notre régime d’euthanasie vingt ans plus tard), fut accueillie dans le média comme un « victoire » depuis longtemps attendue, par les souffrants.

     Pourtant, ces deux principes sont tout à fait disparates et naturellement antagonistes. Cette opposition, d’ailleurs, s’est amplement manifestée dans l’évolution pratique des lois que nous connaissions. Car au cours des litiges subséquents, même si l’idée centrale de l’autonomie fut retenue en justification cosmétique, tous les corollaires nécessaires à son accomplissement furent abandonnés. Et en particulier, l’exigence autonomiste d’un geste de suicide, souverain et non-équivoque, fut abandonnée en faveur de la soumission passive, devant l’euthanasie.

     Avec une parfaite prévisibilité, alors, et parallèlement à l’acceptation populaire toujours grandissante (de la médicalisation du suicide), les personnes malades et handicapées, eux, se seraient unifiées dans leur opposition.  Car des supporteurs circonspects de l’autonomie égalitaire (telles que certaines se seraient manifestées devant « Rodriguez ») elles se sont transformées en adversaires féroces de l’euthanasie (à l’occasion de « Carter »). Et en particulier, l’organisme successeur de la « Coalition des organisations provinciales des personnes handicapées », soit le « Conseil des Canadiens avec déficience » (CCD) s’est intervenu pour opposer la cause « Carter ». Plus encore, cette grande organisation parapluie s’est intervenue, de nouveau, pour opposer toute expansion subséquente des critères d’admissibilité à l’euthanasie (notamment, pour inclure des personnes dont la mort ne serait pas « raisonnablement prévisible »).

— La correction d’un malentendu coriace

     Il peut encore subsister, je crains, une perception d’inconstance à l’égard de cette dernière prise de position. Car au cours de la cause « Rodriguez », tel que souligné, la COPOH aurait rejeté l’exigence proposée, à l’effet que le suicidaire demandeur dût être « en phase terminale ». Mais loin d’être une contradiction, nous voyions ici, je soumets, l’ensemble du malentendu limpidement exposé : car ce que la COPOH opposait, en fait, fut la médicalisation du suicide qui soit implicite dans tout critère de ce genre ; et par-dessus tout, elle s’opposa à la médicalisation du suicide par excellence, qui soit l’euthanasie.

     De contradiction, alors, il n’y en a point : l’ensemble des malades et des handicapés aurait toujours rejeté l’euthanasie. Et une fois l’euthanasie légalisée, ils s’en seraient opposés, également, à toute expansion de cette pratique. Si bien, d’ailleurs, qu’à la conclusion de la cause « Truchon-Gladu » (qui cautionna cette expansion, malgré les avis exprimés), elle s’est manifestée une coalition comprenant pas moins de 60 différentes organisations, représentatives des personnes malades et handicapés (c’est à dire un regroupement de taille nettement sans précédent dans ce domaine) et avec le « Conseil des Canadiens avec déficience » en premièr — pour sommer (sans succès) le gouvernement du Canada à porter ce jugement dangereux en appel, ou encore, de passé franchement outre à celui-ci, par voie de législation spéciale.

     Nous nous en apercevions ainsi, de preuves indéniables de l’opposition quasi-unanime, des personnes malades et handicapées, au principe même de l’euthanasie : une opposition constante et explicite, depuis le factum de 1993.

     Cependant, nous nous découvrions, également, devant une volonté politique, toute aussi inébranlable, et apparemment partagée par une majorité des citoyens bien-portants : de promouvoir l’euthanasie — partout et toujours – dans la satisfaction des attentes, présumées, de personnes qui n’en veulent pas ; qui s’en croient, au contraire, menacées dans leur sécurité physique.

     Et c’est ainsi que des très mauvaises causes, « Rodriguez », « Carter » et « Truchon-Gladu », auraient donné naissance, au Canada, à des très mauvaises lois.

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Les juges de la Cour suprême du Canada au moment du décès de Kay Carter (le 15 Janvier 2010) : (en avant) Marie Deschamps, William Ian Corneil Binnie, Beverley McLachlin, Louis LeBel, Morris Fish, (derrière) Marshall Rothstein, Rosalie Silberman Abella, Louise Charron et Thomas Cromwell

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée — L’épisode « Hofsess » : un rejet, sans plus, des volontés de la personne, infirme ou dépendante, et la substitution du jugement exécutif du bien-portant/accompagnateur/soignant)

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