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Le triage médical : un outil d'exception employé dorénavant de façon ordinaire - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Le triage médical : un outil d’exception employé dorénavant de façon ordinaire

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Le triage médical : un outil d’exception employé dorénavant de façon ordinaire)

— À la rencontre de responsabilités nouvelles, les médecins se rabattent sur une tradition ancienne

Les médecins, de nos jours, ne sont pas chargés uniquement des soins auprès des patients. Car au sein du système canadien de médecine sociale, ces professionnels doivent également agir en régisseurs, et en intendants, à l’égard des ressources allouées. Au point de contact avec la clientèle, donc, ce sont les médecins qui décident de l’accès au soins pour chacun.

Pourtant les médecins ne sont pas des comptables, ni des gestionnaires. Leur relation à l’économie est à la fois plus pratique, et plus immédiate. Cette relation procède d’une conception du devoir qui enjoint le médecin à faire le mieux pour ses patients, dans les limites de ses capacités propres (et des moyens qui lui seront accordés). Or, au moment que ces capacités, et ces ressources, ne suffiront plus pour soigner tous les patients qui sollicitent son aide, le médecin se repliera sur une pratique depuis longtemps conceptualisée, articulée, et discutée, sous un nom connu de tous: le triage.

Traditionnellement, le triage médical est surtout associé aux circonstances d’une gravité exceptionnelle, tels les désastres naturels –les épidémies, les écroulements, les feux, les actions de guerre– où il se produit subitement un nombre de malades, ou de blessés, trop important pour être soignés par les effectifs médicaux en présence. Bien sûr, dans notre modernité et dans notre opulence, nous nous attendons à ce que les ressources se trouvent ; que les médecins arrivent ; ou que les patients se fassent transporter ailleurs. Mais un moment de réflexion nous convaincra qu’il peut toujours arriver des malheurs qui débordent des limites de nos possibilités d’adaptation ; et c’est alors que se produit le calvaire médical du triage catastrophique.

Dans ces moments critiques, il n’existe ni le temps, ni les professionnels, ni le matériel requis pour sauver tout le monde. Il faut faire le tri ; il faut décider qui serait aidé en premier, et qui attendrait: il faut tenter de maximiser la vie protégée ; et il faut minimiser la vie perdu.

— Le tri confortable

En temps normal, ce procédé semblerait bénin, raisonnable, même rassurant, car elle s’opère avec un souci unique de prioriser les interventions, de sorte que tout le monde soit optimalement soigné. Tel, par exemple, serait le tri que nous sommes habitués à rencontrer dans les salles d’urgence typiques ; où l’on ferait attendre une personne souffrant d’un poignet cassé, pendant que les médecins en présence s’occupent des soins d’une autre aux prises avec les séquelles d’une fracture au crâne. Le but, bien sûre, seraient de faire patienter les cas moins pressants, pour passer en priorité ceux comportant des risques de décès plus immédiats.

Mais dans le triage d’urgence catastrophique, au contraire, cette même logique, de protection maximale de la vie, s’opère en faisant passer les cas (relativement) plus légers au détriment des cas plus lourds. Car l’on ne voudrait pas voir cinq mourir pendant que l’on s’obstine à bouger mer et terre dans l’espoir d’en sauver un seul. Il s’agit, alors, non seulement de faire le tri, dans le sens d’un classement académique des malades en présence, mais de choisir parmi eux les gagnants et les perdants, de fixer le sort des morts et des vivants.

— Le tri catastrophique

Pour illustrer ce dilemme, dans tout son ampleur, il suffit de consulter les récits intimes qui nous sont parvenus du personnel des hôpitaux temporaires des théâtres de guerres encore récentes. Rappelons-nous que ces installations, à l’occasion des actions importantes — telle la Bataille de la Somme, avec presque 60,000 hommes morts ou blessés (parmi les seules armées britanniques) dans la première journée de cette offensive (le 1ier juillet, 1916) — se trouvaient subitement inondées par une succession de blessés apparemment sans fin.

Dans les tentes bondées, des interventions chirurgicales se poursuivaient sans arrêt, et sans repos ; à l’entrée, une file de blessés interminable attendait le tri ; en arrière, à l’écart, dans des longues rangées, couchés à mème le sol sous le ciel ouvert — peut-être dans la neige, ou encore sous la pluie — se trouvait la vaste superflue de ceux, rejetés par le tri, qui périssaient tranquillement : délaissés dans leur délire solitaire (ou lucidité sublime) pour mourir dans l’abandon absolu.

Telle est la gravité ultime du triage médical.

— Un portrait personnalisé

Clairement, pour la profession médicale, l’obligation toujours appréhendée de rencontrer ces responsabilités fatidiques — de faire ces choix monstrueux — aurait profondément marqué les traditions collectives, ainsi que l’imaginaire et le vécu individuels.

J’aurais eu, autrefois, le privilège d’assister à une conversation à ce sujet entre un médecin d’expérience et un autre, tout jeune, qui pensait possiblement faire une carrière d’Urgentologue. Évidemment, il était tout de suite question du stress élevé d’un métier ou chaque instant peut présenter des exigences de vie et de mort, tandis que la moindre erreur de jugement risquerait d’entraîner des regrets de culpabilité importants. Pourtant le jeune docteur, d’un caractère réfléchi et sérieux, se disait prêt, et même empressé, à se mesurer contre cette responsabilité.

Notre homme mûr, cependant (ayant connu les réalités de guerre, et de pestilence), persista : qu’en serait-il du drame du triage ? Non pas, voulait-il dire par la, la simple responsabilité d’une intervention urgente réussie ou ratée ; où le médecin pourrait se consoler de s’être entièrement donné à la tache immédiate, quitte à en assumer le résultat ; mais cette autre responsabilité : celle d’avoir délibérément décidé de la mort d’une ou de plusieurs personnes — patients qu’il se serait connu parfaitement capable de soigner dans des circonstances normales — personnes qu’il ait choisi, sciemment, d’abandonner à la mort (selon la logique impitoyable du tri) ?

— Un fort changement de circonstance, entre les générations

Outre la fenêtre fascinante que cette anecdote ouvre sur la psychologie de la réflexion éthique dans la culture médicale (et dans sa transmission initiatique), nous pouvons constater, je crois, des différences importantes dans les attentes et dans les expectations des médecins d’il y a cinquante ans (quand la conversation rapportée eut eu lieu), et les exigences de la profession d’aujourd’hui.

Même que ce serait ici, je crois, que nous puissions trouver, enfin, un élément de la pratique médicale — parmi toutes les réussites et améliorations — qui est objectivement pire pour la génération actuelle.

Car à ce moment, au tout début de la médecine sociale au Canada, il n’existait pas encore une perception de pénurie dans l’offre de services. Au contraire, les médecins n’eurent que très récemment perdu l’habitude de se concurrencer, en offrant des rabais compétitifs sur les honoraires réclamées. Il existait, donc, une présomption (partagée par nos deux interlocuteurs), qu’un médecin normal, dans des circonstances normales, pouvait raisonnablement se croire exempt des épreuves psychologiques et morales du triage catastrophique.

Mais qu’en est-il de nos jours ?

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