Deprecated: Le crochet jetpack_pre_connection_prompt_helpers est obsolète depuis la version jetpack-13.2.0, sans aucune alternative disponible. in /hermes/bosnacweb01/bosnacweb01an/b2067/nf.euthanasiediscussion/public_html/euthanasiediscussion/wp-includes/functions.php on line 6078
gordon friesen, auteur sur Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière - Page 2 sur 20

Une proposition d’accréditation, facultative et obligatoire, à l’intention des praticiens de l’euthanasie

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie D : L’euthanasie et la société — Section : Recommandations spécifiques — Chapitre: Une proposition d’accréditation, facultative et obligatoire, à l’intention des praticiens de l’euthanasie)

–Description

L’octroie d’un mandat qui inclue la terminaison directe de la vie humaine (que ce soit pour motif médical ou autre), devrait, en toute prudence, se baliser d’une accréditation, non collective mais individuelle, à l’endroit des professionnels autorisés.

En particulier, il est proposé qu’une telle accréditation, conçue pour autoriser la pratique de l’euthanasie, comprenne les éléments suivants:

1) Que les individus ainsi accrédités le soient en vertu de demandes présentées, par eux, de manière entièrement volontaire, et pleinement informée.

2) Que les candidats certifiés soient choisis, parmi les demandeurs, sur la base d’une évaluation psychologique, ainsi que d’un examen des antécédentes judiciaires et professionnels.

3) Que les professionnels mandatés soient correctement formés pour assumer cette responsabilité exigeante.

4) Que ces professionnels, et leur pratiques individuelles, soient le sujet d’une suivie systématique dans le temps.

5) Que des ressources soient disponible au besoin, pour venir en aide aux professionnels mandatés, dans le but de pallier aux effets de difficultés psychologiques, possiblement surgissant dans l’accomplissement des pratiques envisagées, ou par la suite.

5) Que les professionnels accrédités soient du nombre minimal pour répondre adéquatement à la demande manifestée parmi la clientèle

Un tel système d’accréditation, facultative et obligatoire, prodiguerait des bénéfices importants: pour les patients; pour les professionnels; et pour la société dans son ensemble.

— Des avantages pour les patients: transparence; confiance; sécurité

L’un des éléments les plus importants, de toute interaction clinique, réside dans la relation de confiance dont jouit le patient face au médecin.

Il aurait souvent été suggéré que le spectre de l’euthanasie sape, où détruise, même, cette confiance. Les supporteurs de l’euthanasie, par contre, affirment que l’assurance, chez le patient, que son médecin lui porterait, au besoin, ce dernier coup de miséricorde qu’il croit être l’euthanasie, n’affaiblit en rien le lien de confiance patient/médecin, mais le raffermit, au contraire.

La vérité, comme dans toute question de désire vital subjectif, dépendrait des sentiments particuliers du patient spécifique. Car le patient qui est possédé par un peur de la vie souffrante (ou simplement par une ambivalence devant la survie prolongée) peut très bien prendre confort dans la présence d’un médecin prêt, selon son choix, à lui écourter cette vie. Mais en même temps, le patient qui ne veut pas mourir ressentirait, tout aussi spontanément, une peur irrépressible devant la nécessité de se confier à ce même médecin. Or, la différence en est une de choix, personnel, devant la pratique de l’euthanasie: et pour le patient, et pour le médecin. Et dans ces circonstances, l’identification transparente des prédilections du médecin individuel –reflétées dans son choix de demander (ou non) l’accréditation requise– faciliterait un assortiment heureux de patients et de médecins compatibles.

En particulier, un telle distinction garantirait, généralement, que le patient consentant soit traité par un véritable professionnel de l’euthanasie, et non sujet, selon les cas, aux soins d’un néophyte, possiblement emporté par des enthousiasmes de passage, mais sans être réellement compétent pour en évaluer l’opportunité de ce recours (ni pour intervenir avec délicatesse; ni pour en atténuer les effets sur les proches survivants).

–Des avantages pour les professionnels: formation; support; protection de conscience

Pour les professionnels, l’exigence d’une accréditation facultative comporte plusieurs avantages: tant parmi les supporteurs de l’euthanasie que parmi les adversaires, et parmi ceux, aussi, qui sont respectueux de la liberté de chacun, mais qui désirent rester, néanmoins, personnellement non-participants.

Pour ceux, d’abord, qui désirent accéder aux dignités d’une telle accréditation, il en résulterait les bénéfices immédiats d’une formation spécifique, formellement élaborée, qui les informerait de toutes les nuances –cliniques, éthiques, et légales– entourant la pratique, et la théorie, de l’euthanasie. De plus (étant donné que ce soient des questions en évolution dynamique), une structure formelle de formation favoriserait l’adoption méthodique de futurs principes de meilleure pratique; développement qui contribuerait fortement à l’estime dont bénéficieraient les professionnels concernés.

Au niveau personnel, aussi, il y aurait l’avantage d’une suivie spécifique, comportant un accès à des services de support, ciblés précisément aux besoins de ceux qui peuvent se trouver touchés par des séquelles psychologiques, possiblement négatives, résultant de cette pratique.

Pour tous ceux, au contraire, qui ne désirent pas participer à l’euthanasie (et cela, quelle que soit la raison), une source d’irritation majeure serait ainsi enlevée face aux modalités de refus: car ayant choisi de s’abstenir de chercher l’accréditation requise, ces personnes ne posséderaient, de toute manière, aucun droit de pratique à cet égard.

Or, cette circonstance ferait disparaître, sans plus, une grande partie des questions épineuses concernant la conscience personnelle (que celles-ci soient de nature morale ou professionnelle); mais seraient protégés aussi: l’ensemble des professionnels non-participants (possiblement très peu engagés dans leurs opinions à ce sujet), qui serait autrement exposés, en permanence, à la possibilité de vivre des crises subites de conscience (imprévues et accidentelles) produites par des demandes occasionnelles (et possiblement impliquant des patients attachés par des relations étroites de longue date) auxquelles le refus, autant que l’acquiescement, seraient capables de susciter des remords importants.

— Des avantages pour la société: renforcement des usages solennels qui entourent la mort et qui sont entretenus pour en empêcher la banalisation

La mort, et surtout la mise à mort, sont des phénomènes particulièrement significatifs pour l’être humain. Et en conséquence, nous les avons toujours entourés de formes cérémonieuses de la plus grande solennité. Or, selon l’opinion présente, il serait tout à notre avantage de procéder de la même manière avec l’euthanasie.

Décidément, il existe de très bonnes raisons pour restreindre, et pour formaliser, notre lien avec la mort. Car, paradoxalement, la mort représente ce qu’il peut avoir de plus ordinaire: notre mortalité nous définie tous; et, avec l’âge nous témoignons de la mort tout autour de nous. De plus, il survient régulièrement des moments moins sécuritaires (de guerre, de famine, de pestilence) où la mort –et parfois la mise à mort aussi– sont presque omniprésentes; où toute personne survivante connaît la perte des proches; et où (au pire) presque tout survivant se reconnaît, aussi, en homicide réel ou potentiel.

Dans ces occasions, il peut surgir une attitude d’indifférence envers la mort qui soit très peu propice pour le maintien d’une société respectueuse de la vie de ses membres. Et en ces moments, les formalités cérémonieuses qui entourent notre traitement de la mort (des morts, et des mourants), se révèlent absolument essentielles: pour maintenir nos prétentions au statut humain.

Or, il n’y a rien qui tend plus directement vers la désensibilisation déshumanisante que la mise à mort administrative, et malheureusement, malgré les efforts sémantiques déployés pour minimiser ce fait: il n’en demeure pas moins que l’euthanasie systématique (telle que pratiquée aujourd’hui au Canada) soit indéniablement un phénomène de cette nature. Et pour cette raison, les plus grands efforts seront nécessaires pour éviter une banalisation, dans le geste, qui ouvre la voie vers une banalisation de nos sentiments humains tout court.

Or, sans doute (je soumets), la première des formalités indiquées à cette fin réside dans la création d’un statut particulier (d’un grade, d’un dégrée, d’une accréditation) qui soit accordé uniquement aux individus ainsi mandatés, et qui les démarquent nettement de leurs paires; une dignité qui soit réservée uniquement aux candidats pleinement volontaires, et objectivement méritants, des responsabilités (très lourdes) qui leur soient confiées.

Par voie de comparaison, discerner ce statut –tant exceptionnel– au premier médecin ou infirmière venu (soit 500,000 personnes au Canada) –sans qu’ils en aient même exprimé l’envie– favorise l’impression d’une banalisation maximale.

Il peut, peut-être, avoir une objection à cette logique, voulant que les pratiquants de l’euthanasie se trouvent sujets (déjà) à la désapprobation, et à la l’ostracisation, parmi certains de leurs paires; qu’ils souffrent (aussi) des suites d’une incompréhension mal-informée chez une bonne partie de la clientèle; et que cette stigmatisation s’aggraverait, vraisemblablement, en proportion avec tout signalement, ou différenciation, de leur état.

À cela faudrait-il répondre, je crois, que cette désapprobation, et cette ostracisation, se manifestent inévitablement à l’égard de toute personne dont le travail concerne directement la mort (et surtout la mise à mort), à partir des techniciens de salon funéraire, jusqu’aux militaires (sans parler des bourreaux d’antan). Heureusement, les médecins, et les infirmières, ont été traditionnellement épargnés de cette stigmatisation: mais seulement parce que leur travail ait toujours été populairement conçu en effort dirigé uniquement vers la survie et la guérison. Dès (par contre) que soit introduite la notion de terminaison –active– de la vie sous surveillance médicale: et il survient un réflexe de recul instinctif devant les professionnels responsables; et cela sans considération des mobiles, ni des appuis populaires au principe.

Se pose alors la question essentielle: faudrait-il permettre à cet inconfort instinctif à teindre tout l’ensemble médical; à s’insinuer sourdement dans toutes les relations patient-médecins? Ou est-ce qu’il ne vaille pas mieux identifier ce malaise, uniquement, avec les circonstances et avec les professionnels, spécifiquement liés au phénomène (d’euthanasie) qui en soit la cause?

N’est-ce pas une question qui réponde d’elle-même?

L’estime de la clientèle, pour cette spécialité (et pour ses spécialistes), s’ accroîtrait en proportion directe, je soumets, avec le sentiment du patient-type: qu’il en soit personnellement épargné (jusqu’à la manifestation d’une volonté contraire) la présence et l’attention. Et autant l’apparition de tels spécialistes puisse soulever un malaise naturel, chez les uns, autant serait-il à présumer que les patients, réellement désireux de tels services, accueilleront positivement les professionnels exclusivement mandatés à cette fin. Ultimement, cette identification formelle servirait à protéger la perception positive de la médecine dans son ensemble (et l’expérience sereine du patient-type), tout en permettant l’éclosion d’un nouveau marché de service qui soit rationnellement assorti: et à la demande organiquement issue de la clientèle; et à la volonté éclairée des professionnels souhaitant y répondre.

L’accréditation facultative obligatoire, donc, nous promet une perception que l’entrée –au statut socialement sensible d’euthanasiste– soit limitée à des personnes aptes à assumer ce devoir de manière volontaire, sans faire du tort: ni envers eux-mêmes, ni envers leurs patients, ni envers la société.

La médecine, elle, en serait la première bénéficiaire de cette perception, avec une introduction de l’euthanasie qui soit calculée pour produire un minimum de disruption dans les rapports traditionnels entre patients et professionnels. Mais la bénéficiaire principale en serait la société élargie, dans la mesure qu’elle puissent intégrer l’euthanasie, rationnellement, sans contribuer à la désensibilisation et à la déshumanisation collectives.

À suivre …

La propagation peu probable du Christianisme, dans le crépuscule –et dans la désintégration– de l’Empire Romain: une conversion pacifique, réalisée par des appels missionnaires, à la conscience personnelle

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: La propagation peu probable du Christianisme, dans la crépuscule –et dans la désintégration– de l’Empire Romain: une conversion pacifique, réalisée par des appels missionnaires, à la conscience personnelle)

Edmond le Martyr (841 – 869), dernier Roi de l’Est-Anglie (royaume Anglo-Saxon situé sur le littoral Centre-Est de la Grande-Bretagne), refuse d’abjurer sa foi chrétienne devant les conquérants Danois (Vikings).

.

La prolifération extraordinaire, du Christianisme, présente un sujet d’une complexité extrême. Un élément notable se dégage pourtant: que cette religion se soit répandue principalement par la persuasion, et non par la guerre.

Cela était particulièrement vrai au départ, pendant la persécution romaine, où la condition chrétienne était très précaire et n’amenait aucun avantage, outre la consolation de la foi comme telle.

Après son adoption par l’empereur Constantin I, cependant (337A.D.), il s’est développé une perception parmi la noblesse romaine que la foi chrétienne était devenue un avantage pour les ambitieux. Nous apprenons, par exemple qu’un certain Gaulois, Ausonius (310 – 395), adopta la foi chrétienne grâce à son association avec les Empereurs Valentinien I (321 – 375) et son fils Gratien (359 – 383), et fut nommé, ensuite, comme le premier Préfet, chrétien, du Prétoire des Gaules (377). Évidemment, cela ne veut pas dire que Ausonius était le premier Gaulois de foi chrétien, ni que la Gaule devint chrétienne à partir de ce moment (et les mêmes réserves s’appliquent, plus généralement, au récit de la christianisation de l’ensemble de l’Empire). Pourtant, nous notons qu’une dynamique favorable s’est établie, à cette période, pour que le Christianisme pénètre la société romaine, en Europe, du haut vers le bas.

En même temps, Rome se trouvait aux prises avec diverses tribus de barbares Teutons dans une lutte qui se révéla rapidement mortelle pour l’Empire de l’Ouest (465). Or, comment expliquer l’adoption du Christianisme par ces païens beaucoup plus rustres que les Romains ? Comment expliquer, par exemple, que le Christianisme, virtuellement extirpé par les Saxons dans la province Britannique –et repoussé jusqu’aux derniers repaires de l’Irlande et du Pays de Galles– ait pu ensuite ressortir de ces enclaves pour reprendre la conversion de l’Europe? Comment expliquer la conversion éventuelle des Saxons en Angleterre, et la conversion subséquente, par eux, de leurs tourmenteurs Scandinaves?

Ce qui est certain, c’est qu’une réunification importante de l’Europe continentale s’est éventuellement réalisée sous le Roi des Francs Charlemagne (747 – 814), couronné empereur à Rome (800). Or, les prédécesseurs de Charlemagne était des Chrétiens depuis la conversion (496) du Roi Clovis (466 – 511). Dans ce contexte, l’assujettissement forcé des païens continentaux récalcitrants (notamment des Saxons dans le Nord de l’Allemagne), et des hérétiques Lombards Ariens (en Italie) faisaient partie d’une politique –non de conquête religieuse comme telle– mais de consolidation impériale par voie de culture partagée, érigée sur la base d’un Christianisme déjà largement dominant.

Apparemment, donc, pendant toute cette histoire –de la christianisation de l’Empire et des envahisseurs Teutons– il y avait parfois une dynamique politique favorable qui jouait parmi les chefs. Mais il y avait surtout l’exemple de missionnaires et de martyres, qui s’introduisaient partout, et qui produisaient partout le même effet, en pénétrant, seuls, dans la “fosse aux lions”.

Et alors, posons de nouveau cette question: Pourquoi les Romains, maîtres du monde, embrassèrent-ils cette foi? Pourquoi les conquérants Saxons, ayant largement remplacé la population Celtique-Romaine des Îles Britanniques (450) sont-ils ensuite devenus Chrétiens à leur tour (600-700)? Et comment leurs cousins nordiques, Vikings, ont-ils suivi le même parcours, trois cents ans plus tard (787-1016): riant, d’abord, de la passivité résolue avec laquelle les frères chrétiens, Saxons, se sacrifièrent à leur foi; mais ultimement séduits, eux aussi, par la noblesse de cet exemple?

L’arrivée des envahisseurs païens Anglo-Saxons (dont les ancêtres du Roi Edmond) vers 450 A.D.

–Le Christianisme se présente, en anomalie, devant une histoire de cultes religieux qui avançaient (et reculaient) selon la dominance des populations adhérentes.

Manifestement, le portrait de cette progression fulgurante, de la foi chrétienne, se trouve aux antipodes exactes de celui, coïncident, de l’Islam (635 – 750): qui fut embrassé, d’abord, parmi les tribus arabes, en culte prophétique à l’endroit de leur chef guerrier Mahomet (570 – 632); et qui fut ensuite répandu de force, en amalgame politico-religieux, avec leurs conquêtes tant extraordinaires. Dans le cas chrétien, tout au contraire: les tribus envahisseurs du Nord méprisaient instinctivement ce culte, totalement antagonique à leurs traditions natives. Non seulement ils ne disséminèrent pas la religion chrétienne, ils en supprimaient toute trace sur leur passage. Et pourtant, ils se sont tout de mème convertis avec le temps, à force d’arguments, et d’exemples.

Or (si notre but en est un d’examen honnête), il ne faut pas confondre phénomène et contexte, ni forme et fond.

Il faut séparer scrupuleusement la vision métaphysique du Christianisme (et l’essentiel de sa doctrine morale), de toute instrumentalisation politique qui en ait pu être faite à son égard; séparer ces doctrines, aussi, des structures institutionnelles qui se développaient organiquement autour de leur dominance éventuelle; et les séparer, finalement, de la mémoire des profiteurs –de tout genre– ayant inévitablement pris avantage de telles institutions, pour satisfaire leurs ambitions propres. Car l’historie du Christianisme n’est pas identique avec l’histoire politique des régions chrétiennes, et les torts de l’un ne peuvent pas être attribués, sans critique, à l’autre.

–Primauté de la conscience individuelle: une idée révolutionnaire

Il faut peut-être préciser, encore, que l’idée de la primauté de la conscience individuelle était au cœur de la doctrine chrétienne depuis ses origines. Car Jésus n’était pas seulement un Prophète, destiné à commander (de son vivant) les actions de ses contemporains (en vertu d’une commission qui lui eût été conférée par Dieu à la manière d’un Moise).

Non. Jésus était (et l’est toujours pour grand nombre) lui-même réputé être de nature divine.

Cette distinction prend son importance, en particulier, face à la postérité: car il n’y avait aucune possibilité de remplacer le Christ: ni comme les prophètes (et Juges) Israélites se remplaçaient séquentiellement; ni même de manière représentative, comme les descendants linéaires de Mahomet étaient censés hériter de l’autorité du Califat. La référence ultime des croyants chrétiens demeurent uniquement dans leur compréhension des saintes paroles. Au plus simple: les Chrétiens aspirent à suivre l’exemple de Jésus; et le lien qui unit le croyant au Christ est direct et personnel.

Jésus propose cette relation, à tous, dans les mots suivants (Jean 14:23): “Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.”

D’après cette description, aucune autorité humaine ne peut s’immiscer entre le croyant et Dieu; aussi, toute appartenance politique ou communautaire (c’est à dire: toute discipline hiérarchique) demeure secondaire à ce lien direct (“Je suis la vigne, et vous, les sarments…” Jean 15:5).

Il en résulte une séparation, à priori, entre l’autorité temporelle et l’autorité spirituelle, que Jésus est réputé avoir explicitement évoqué avec la célèbre consigne: “Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu” (Luc 20:25). Et encore, au moment de son procès devant le Préfet romain Ponce Pilate: “Ma royauté n’est pas de ce monde…”(Jean 18:35).

Pour les adhérentes de Jésus, donc, le principe est clair : le Chrétien admet la nécessité de vivre avec l’imperfection des régimes humains (et ce, précisément parce que se sont des régimes humains); il accepte même (c’est à dire, il pardonne) les injustices de pouvoir qui s’y produisent inévitablement.

Quant à ses agissements propres, cependant: le Chrétien se déclare sujet, en tout cas, aux seules exigences d’une autorité supérieure –au-dessus de tout agencement, gouvernement, ou structure humaine– c’est à dire: l’autorité de Dieu (telle qu’enseignée par le Christ); d’où résulte une conception de l’homme en agent moral –libre– qui est appelé à exercer cette liberté, au besoin, envers et malgré tous.

Voilà un principe qui se déclare subversif, en permanence, à l’égard de toute institution de pouvoir temporel!

–La conscience individuelle et les pouvoirs temporels qui se voudraient d’autorité divine

Mais il y a plus: La posture indépendante du Chrétien, face au pouvoir, s’est toujours appliquée, aussi, face aux instances d’autorité qui prétendent interpréter la volonté divine (et peut-être surtout à l’égard de celles-ci). Car, manifestement, tout l’ensemble, des prêtres et des juges spirituels, constitue une classe de personnes pour laquelle les paroles de Jésus furent particulièrement mordantes (“Races de vipères”, Matthieu 3:7); une classe, d’ailleurs, qui lui rendit bien cette animadversion en orchestrant sa mise à mort.

Depuis ses débuts, donc, le Christianisme favorise la graine d’une idée partout révolutionnaire : que tous les hommes sont créés spirituellement responsables, moralement libres, et chacun obligé de rendre compte (seul devant Dieu) de ses actions propres, sans pouvoir prétexter la nécessité de rendre obéissance envers d’autrui.

Il en résulte que le Christianisme s’est répandu (et cela, souvent dans la face d’une opposition institutionnelle et collective importante), surtout, par des conversions volontaires, sollicitées par voie d’appel à la conscience individuelle. Et tandis que les Chrétiens s’accommodent de tous les régimes terrestres, ils s’y présentent, aussi, en témoins indépendants, selon l’indépendance enseignée par l’exemple de Jésus.

Car le salut chrétien reste, essentiellement, un exercice personnel; une expérience unique de la conscience individuelle en relation avec Dieu.

La deuxième vague de conquête et de colonisation Teuton en Grande-Bretagne, soit des Vikings Scandinaves, s’est abattue sur ces îles à partir de 793 A.D.

Pendant 43 jours, au tournant 1013- 1014, l’Angleterre avait pour roi le Viking Sven à la Barbe fourchue (960 – 1014) qui avait été converti au Christianisme, avec son père Harald (911 – 985), en 966 (par un missionnaire nommé Poppon “qui porta en public, sans en éprouver de dommage un fer chauffé à blanc, en forme de gant”)


Après une courte période de restauration Saxonne (1014 – 1016), la royauté fut définitivement assumée par le fils de Sven, Knut le Grand (990 -1035), roi d’Angleterre (1016 -1035), de Danemark (1018 – 1035), de Norvège (1028 – 1035), et d’une partie de la Suède. Étant à la fois Chrétien et commandant de tant des forces Nordiques, Knut était idéalement placé (après deux cents ans de tourmentes constantes) pour rétablir la paix, et la prospérité, en Angleterre.


Illustrations: La vie de St. Edmond, 1130 A.D.; illustrateur: Alexis Master (? – 1140)

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: L’Église Catholique: Un millénaire d’hégémonie en Europe Occidentale)

Le regard américain tourné de nouveau vers le Vieux Continent; un lien de destin inéluctable; le tourisme artistique et intellectuel

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Le regard américain tourné de nouveau vers le Vieux Continent; un lien de destin inéluctable; le tourisme artistique et intellectuel)

–La douce illusion américaine (1918), de pouvoir retrouver l’indépendance isolationniste de l’Avant-guerre

En Amérique, l’Entre-deux-Guerres se vivait d’une psychologie passablement différente (quoique étroitement connectée) à celle de l’Europe. Le constat moral d’un échec civilisationnel reçu, tant évident dans les décombres européens du conflit fraîchement achevé, était ressenti Outremer, certes, mais ressenti d’une manière autre. Car, en partant, les Américains associèrent cet échec uniquement à L’Ancien Continent, et non au Nouveau.

Ils avaient vu –et avaient vécu– cette crise de civilisation qui fut la “Grande” Guerre (livrée pour en finir avec toutes les guerres). Mais ils avaient survécu aussi (les plus chanceux de parmi eux), pour retourner dans un pays qui n’en avait pas été directement touché, et où le deuil national était de beaucoup moindre (les pertes militaires américaines étant 23 fois moins élevées que celles de l’Allemagne –en proportion des deux populations– et 29 fois moins élevées que celles de la France). De toute apparence, donc: les américains étaient destinés à vivre les fruits, de leur victoire, dans la paix et dans la prospérité.

Loin, encore, de craindre l’industrialisation de la guerre comme une faille potentiellement mortelle de la civilisation moderne (selon les réflexions prophétiques de W.S. Churchill), les Américains voyaient leur propre industrialisation (à la lumière de leur victoire récente, et dans l’absence de voisins ennemis) comme la garantie d’une indépendance parfaite. Pourtant, en souterrain, il s’agitaient des forces psychologiques de beaucoup plus sombres, et de profondeur insoupçonnée.

Car la société Américaine n’était pas, réellement, une société nouvelle. Elle représentait, plutôt, l’avant-garde progressiste d’une société bien entamée: une société qui trouvait ses racines dans la déconfiture des Empires Classiques (il y a maintenant deux milles ans); et à plusieurs égards, bien au-delà.

–La promesse civilisationnelle remise en cause des deux côtés de l’Océan

Avec le temps, cette société avait développé un modèle de moral, fondé, à la fois, dans un souci de liberté individuelle, et dans une responsabilité, publique, qui se voulait rationnelle et volontaire. Le tout étant bâti sur une foi (divergente parfois dans les détails, mais unanime dans l’essentiel): que la réalité répond à la volonté d’une Providence toute-puissante (voire: d’un Déité), dont la volonté divine serait résolument bienveillante à l’égard de l’homme; et donc (malgré les épreuves inévitables de passage): que la direction arrêtée de cette grande civilisation, dite “occidentale”, en soit une de “progrès” perpétuel, vers un futur humain toujours plus rose.

Et pourtant: ce modèle s’était perdu, manifestement, dans les délires récents du nationalisme, et du collectivisme, perçus dans un paradigme de compétition Darwinienne. Et puis, par coup de tonnerre irréparable, la confiance partagée de tout ce corps civilisationnel s’est vue écrasée dans les déboires de la Première Guerre. Or, la tête avancée de ce corps –le “progrès” social américain (symbolisé dans ces pages par le mouvement avorté de Tempérance)– s’est retrouvée subitement seule; abandonnée comme une pousse verte au bout de branche au soleil du printemps –d’un arbre apparemment fendu à la souche.

–L’attention américaine, intellectuelle et artistique, fixée formellement sur l’Europe, par habitude historique

Il y a une forte ironie dans ce fait que l’intervention victorieuse des soldats et de l’industrie américains (dans la dynamique politique de l’Europe) ait définitivement consacré la variante culturelle du Nouveau Monde en tendance dominante, mais qu’en même temps, tant d’intellectuels et d’artistes se tournait vers l’Europe, toujours, pour y puiser leur inspiration.

La musique populaire, par exemple, était en train de se transformer complètement, sous les influences du Jazz, tandis que rien n’ait pu se considérer comme une produit plus typiquement américain. Pourtant, il existait à l’époque (et il existe encore), une idéalisation des clubs de Jazz européens –de Paris et de Berlin– à l’effet que ce soit ces clubs qui se trouvaient à l’épicentre véritable du mouvement. Objectivement, cependant (et bien qu’il y avaient, effectivement, des musiciens célèbres qui fuyaient les contraintes relatives de la Prohibition): ni Paris, ni Berlin. ni Londres, ne pouvait aucunement se comparer avec la floraison culturelle qui se produisit, au même moment, à New York, à Chicago, à la Nouvelle-Orléans, et (phénomène totalement unique parmi tous) à Hollywood.

Or, cela étant dit: l’habitude universelle, de voir l’Ancien Continent comme le conservatoire historique d’une culture supérieure (dont chaque pierre préservait, et en respirait l’essence), était trop profondément inculquée dans la conscience coloniale, pour disparaître d’un coup. De plus, les souvenirs licencieux, des soldats récemment retournés, y prêtaient un mystère des plus fascinants; au point où même l’inimitable George Gershwin (1898 – 1937) –déjà compositeur consacré de la “Rhapsodie in Blue” (1924)– est allé à Paris (1928) pour se perfectionner sous l’instruction des maîtres qui s’y trouvaient. Or, rien ne pouvait exprimer plus fidèlement ce moment de rupture historique (et de passage définitif du bâton culturel), que la réponse négative qui lui était rendue par le compositeur français alors proéminent, Maurice Ravel (1875 – 1937): “Pourquoi” écrit-il, “vouloir devenir un Ravel, de deuxième ordre, quand vous êtes déjà un Gershwin, du premier?”

–Un bref sens de suffisance domestique au cours des Années Vingt; des préoccupations européennes qui revint avec l’élargissement de la crise

Paradoxalement, ce sont les années prohibitionnistes de la décade dix-neuf-cent-vingt qui se remémorent toujours sous le sobriquet nostalgique des “Années Folles”. Car ce fut pendant cette brève période de prospérité fébrile que la confiance américain battaient au plus fort; qu’une nouvelle littérature, et une nouvelle musique, se sont imposées par les goûts populaires; que la présomption d’une Amérique matériellement et moralement supérieure (industriellement et géographiquement distincte; apparemment intouchée par l’implosion européenne) ait pu rallié une croyance presque unanime.

Et pourtant! Avec l’effondrement des marchés qui débuta en dix-neuf-cent-vingt-neuf, il transperça clairement ce fait: (que même victorieuse; même en temps de paix; et même à dix années d’intervalle) l’Amérique ne pouvait pas s’échapper indemne aux effets de cette catastrophe, générale, qui fut la Grande Guerre.

Car telle était, en fait, la signification première de ces événements (vus de la perspective américaine): que l’isolement volontaire de la Révolution (1776) ne pouvait plus continuer; que cette nation avait enfin été attirée dans les guerres impériales inachevées –de bon ou de mauvais gré– par un intérêt propre qui ne pouvait pas s’ignorer; et cela: non dans un théâtre périphérique (comme à l’occasion des guerres Napoléoniennes de 1812), mais au cœur de l’Europe même, et de manière décisive. Dès et désormais, donc, le sort des américains serait indissociable de celui des européens. Et, alors, si cette leçon n’avait pas été entièrement apprise grâce aux sacrifices exigés par la guerre, elle le fut, sans doute aucun, face aux misères de la crise économique, inéluctable, qui en résulta.

Il s’ensuivit, donc, un intérêt renouvelé pour les affaires européennes, un peu à la manière des voisins d’un volcan inquiète, qui ne peuvent rien pour calmé celui-ci, mais qui s’en préoccupent toujours, du fait qu’ils savent ne pas pouvoir s’en soustraire aux effets d’une irruption éventuelle.

–Les idéologies nouvelles sont épousées en Amérique, également, mais jamais tout à fait

Comme conséquence, aussi, de la Guerre, et de la Dépression (deux crises aiguës qui semblaient solliciter, chacun, des solutions de la mème trempe), les enthousiasmes européennes pour les idéologies et pour les politiques “fortes” se rependirent en Amérique également, où l’on admira, tour à tour: Lénine, Staline, Mussolini, et Hitler.

Plus encore, le Trente-deuxième Président des États Unis, Franklin D. Roosevelt (pour la toute première, et pour une seule fois) faisait fi de la tradition longtemps établie par l’exemple, tant salutaire, de George Washington (pour limiter le service du président à deux termes seulement). Car, F.D.R. (à l’image de ses contemporains autoritaires célèbres) se transforma effectivement en “président à vie”, servant non moins de quatre termes présidentiels (de 1933 jusqu’à sa mort en 1948); et provoqua, ainsi (en réaction à tel précédent menaçant), l’entérinement du Vingt-deuxième Amendement à la Constitution (1947), qui interdit, à tout Président subséquent, la poursuite d’ambitions similaires.

Il est à noter, donc, qu’à travers cette époque: non-seulement l’équilibre géo-politique et économique, mais la prolifération des mouvements idéologiques, aussi, évoluaient dans un rapport, dynamique, d’interdépendance intercontinentale, où toutes les tendances européennes trouvaient leur adhérents américains.

Pourtant, la nation américaine ne fut jamais franchement emportée par les idéologies modernes: ni de droite, ni de gauche (mème si cela fut possiblement manqué de très peu). Et alors, tandis que l’Allemagne sombrait dans le Fascisme –et la Russie dans le Socialisme Bolcheviste– le Démocratie, en Amérique, évita par miracle ce piège. Il en résulta une politique extérieure non-préférentielle qui se voulait scrupuleusement “juste” à l’égard de tous les différents pays en présence; une politique presque paralysée, parfois, dans ses actions (ce qui explique l’hésitation prolongée qui précéda l’entrée des États Unis dans chacune des deux Guerres Mondiales).

(Rendu aux limites, cependant, de l’impartialité idéelle; et malgré la présence de très forts lobby collectivistes (et autoritaires), le peuple américain s’est décidé –dans l’un cas, comme dans l’autre– de défendre le futur de leur propre expérience de liberté démocratique: en intervenant du côté de la démocratie française (1917) et de celle de la Grande-Bretagne (1941).)

–Les intellectuels américains à l’étranger: un trait d’union intercontinental

Au niveau des Arts et de l’information, enfin, il s’est développé une importante mode de tourisme artistique pendant toute cette période (et redoublée avec l’arrivée de la Dépression des Années trente), à l’exemple de Christopher Isherwood, Jean Ross, Ernest Hemingway, Josef von Sternberg, et F.Scott Fitzgerald: par où Britanniques et Américains, de la classe littéraire, tournaient leur attention vers le Vieux Continent; et par où cette grande malaise civilisationnelle (en Europe si palpable) s’est progressivement répandue, aussi, parmi les habitants du Nouveau.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier: L’euthanasie et le choix — Partie C: l’Euthanasie et la médecine — Section III: Une société en rupture — Chapitre: Un Américain à Paris: Gene Kelly contre Henry Miller)

–Helen Keller et le Pacifisme: une tactique ponctuelle des révolutionnaires internationalistes

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre: Un personnage politique tout à fait extraordinaire : Féministe, Marxiste, et Eugéniste — Helen Keller et le Pacifisme: une tactique ponctuelle des révolutionnaires internationalistes)

Il serait impossible de deviner, d’après cette photo (1899), que Helen Keller (à gauche) ne voit pas. Annie Sullivan, son enseignante (1866 – 1936) avait elle-même une vision très limitée. Puisque Helen était sourde, également, leur communication se fit par code tactile.

,

Il semblerait, en effet, que Mlle. Keller ait partagé plus du caractère de ses contemporains martiaux (d’un Ludendorf, par exemple, ou d’un Hindenberg) que nous ne serions facilement portés à vouloir croire, peut-être, sans plus d’explications. Car tout en exploitant le vocabulaire de la paix dans sa lutte stratégique, contre ce qu’elle comprenait comme les intérêts des grands industriels capitalistes, Helen Keller n’était pas du tout Pacifiste par principe :

“Je ne m’oppose pas à la guerre pour des raisons sentimentales. Le sang d’ancêtres guerriers me coule dans les veines. C’ est avec joie que je regarderais nos jeunes hommes partir pour livrer bataille, si je pensais que cette lutte en était une pour la liberté véritable.” –Helen Keller, extrait d’une lettre privée, Novembre 1917

Or, pour comprendre cet extrait, il faudrait préciser que pour Mlle Keller « la liberté véritable » serait nul autre que la “dictature du prolétariat” postulée par Karl Marx un demi-siècle plus tôt. Dans d’autres mots: Helen Keller militait pour la paix, mais seulement pour une paix post-révolutionnaire. Ou, encore plus précisément, elle militait pour empêcher l’entrée des États Unis dans le conflit en cours, dans l’espoir d’un refus global de toute la classe ouvrière.

Pourtant, après longue réflexion, elle s’est abstenue de participer au voyage de la célèbre « navire de la paix », organisée par Henry Ford (1917). Car autant une paix Européenne aurait pu permettre, aux élites capitalistes, de survivre et de continuer leur dominance: autant elle en était opposée.

Ultimement, donc, comme tant d’autres Marxistes internationalistes autour du monde, elle en était venue à rêver d’un dénouement ou l’épuisement des économies capitalistes, dans les efforts extrêmes de la guerre, ouvrirait la voie vers une mutinerie générale des classes opprimées, des ouvriers et des soldats, suivie de cette lutte interne finale, dans chaque pays du monde (telle que promise par les prophéties marxistes –“d’Inévitabilité Historique”); qui produirait, enfin, cette Dictature tant espérée: où le soleil brillerait; où les oiseaux chanteraient; où tous et chacun vivraient désormais l’harmonie du bonheur final; et où il n’y aurait plus de bien que le bien commun.

Même la possibilité d’une victoire absolue des Allemands (résultant au pire dans un empire mondial Teuton) n’ébranlait pas la confiance sereine de sa foi. Car, dans ses propres mots: une telle concentration de pouvoir capitaliste ne ferait qu’ouvrir l’opportunité, aux révolutionnaires socialistes, de «gagner d’un seul coup » !

Alors dans la mesure où elle appelait au refus du soldat d’exécuter les volontés belliqueuses de ses maîtres, elle préparait (ou essayait de préparer) ce cataclysme subséquent, si ardemment désiré par tout révolutionnaire conséquent. Et dans aucun cas, la révolutionnaire convaincue qu’était Helen Keller, ne reculerait –pour une seule question de sang et de sacrifice– devant l’opportunité de remporter cette lutte ultime des classes.

— Se réconcilier à la réalité du caractère

Or, c’est à la lumière de ces faits, et bien malgré moi, que je suis arrivé à cette conclusion surprenante: qu’en dépit des apparences –et malgré les artifices de l’oratrice– Helen Keller faisait, aussi, partie de cette petite élite de personnes psychologiquement adaptées au temps d’exception, sanguinaire, où se situait l’année 1915; incluant dans sa capacité conceptuelle, et émotive, d’accepter (et même d’embrasser âprement) les pertes massives de vie qui seraient exigées, de toute évidence, par les idéologies de son époque. Et ce fut cette conclusion, aussi, qui m’aurait permis de me réconcilier, un tant soit peu, à l’idée que cette personne –si positive, si admirable, et si engageante– ait pu également, avec son candeur simple et sans apologie, avancer la suggestion d’un mécanisme général, et obligatoire, d’infanticide sélectif; et cela: sans pour un instant se préoccuper de la nature extraordinaire, et potentiellement monstrueuse, de sa proposition.

— À son escient? Ou à son insu?

Il serait facile peut-être (et je crois de beaucoup trop facile) d’imaginer que la portée de ses mots échappait tout simplement à la compréhension de cette demoiselle célèbre.

Telle était, en effet, la prétention de plusieurs de ses détracteurs. Mais pour en juger de la pertinence de cette allégation, et avant de regarder, plus en profondeur, son plan d’infanticide comme tel, je vous offre ici dans ses mots propres, un avertissement livré directement –en termes gentiment moqueurs mais non moins fermes– vers ceux (très nombreux de ces contemporains) qui faisaient précisément cette erreur : de mésestimer, sur la force des plus superficielles apparences, la véritable trempe du personnage qui nous parle.

Voici un extrait tiré d’une allocution prononcée, par Helen Keller, contre la politique de « préparation » militaire américaine. Ce discours fut intitulé « Strike Against War » (En grève contre la guerre), et fut livré sous la bannière du Women’s Peace Party (Parti des femmes pour la paix) et celle du Labor Forum (Forum du travail) à Carnegie Hall, New York, 1916:

“Tout d’abord, j’ai un mot à dire pour mes bons amis, les éditeurs et autres, qui sont mus par pitié à mon endroit.

Certaines personnes s’attristent en imaginant que je me trouve entre les mains de gens sans scrupules: qui m’induisent en erreur; qui me persuadent à épouser des causes impopulaires; et qui font de moi le porte-parole de leur propagande.

Eh bien, qu’il soit compris, une fois pour toutes, que je ne veut pas de leur pitié; je ne changerais pas de place avec eux.

Je sais de quoi je parle. Mes sources d’informations sont aussi bonnes, et aussi fiables, que celles de n’importe qui. J’ai des journaux, et des revues –de l’Angleterre, de la France, de l’Allemagne, et de l’Autriche– que je suis capable de lire moi-même. Ce n’est pas tous les éditeurs de ma connaissance qui peuvent en faire autant. Grand nombre de parmi eux doivent prendre leur Français, et leur Allemand, à main seconde.

Non. Je ne dénigrerai pas les éditeurs. Ils sont une classe surmenée et mal-comprise. Qu’ils se souviennent, pourtant: qu’autant je suis incapable de voir le feu au bout de leurs cigarettes, autant ils sont incapables d’enfiler une aiguille dans l’obscurité.

Tout ce que je demande, Messieurs, c’est un champ égal et aucune faveur. Je suis entrée dans la lutte contre l’état de préparation (prepardedness), et contre le système économique sous lequel nous vivons. Ce sera une lutte pour en finir, et je ne demande aucun quartier.” — Helen Keller, le 5 janvier 1916

— Une déclaration d’intention sans la moindre ambiguïté

Mais quelle déclaration extraordinaire! On croirait voir Bambi, sortir des rangs, pour défier King Kong!

Ce serait très difficile, je soumets, d’imaginer un meilleur avertissement, servi à la fois à ses amis, et à ses adversaires: qu’elle n’accepterait pas une place de figurante symbolique, invitée seulement pour associer sa célébrité émotive à la cause en cours.

Considérons, d’abord, le vocabulaire utilisé: “je suis entrée dans la lutte” (“I have entered the fight”), et encore: “ce sera une lutte pour en finir” (“It is to be a fight to the finish”). Ce serait impossible, dans le contexte décrit (de l’année 1916), que ces mots aient été interprétés en simple artifice de rhétorique. Car au moment exact où Mlle Keller prononçait ces paroles, des activistes progressistes (quelque fois les amis et les correspondants intimes de Helen elle-même) se trouvaient déjà emprisonnés aux États-Unis (et sommairement exécutés, au berceau des pensées révolutionnaires, en Russie, et en Allemagne) et cela, pour précisément le genre d’activités anti-militaristes qu’elle encouragea: de grève, d’agitation, voire: de sabotage). Alors la lutte dont elle parle, ce serait bel et bien un vrai combat; et bel et bien une “lutte pour en finir“.

Très évidemment, alors, Helen Keller, ne faisait aucunement partie des dupes, ni des acteurs tragiques accidentels. Au contraire: elle se voulait l’un des esprits moteurs des événements de son époque. Elle connaissait déjà la douleur de la perte des proches; elle était étudiante assidue des révolutions précédentes; elle comprenait l’enfer dans lequel le monde était déjà embarqué; et elle comprenait parfaitement bien, aussi, que sa préférence personnelle –d’un chemin de sortie révolutionnaire– prolongerait de beaucoup cette période de désordre, et (selon l’exemple subséquent des Russes), traverserait inévitablement des horreurs humaines encore plus vastes, avant d’aboutir (selon la foi prophétique) à sa conception de la Terre Promise.

En somme, trente ans après l’énoncé Nietzschéen, du surhomme moderne (dit “Übermensch”) –matérialiste, agissant “au-delà du bien et du mal”– Helen Keller s’est déclarée lucidement prête, elle aussi, à « dépenser » les vies humaines nécessaires à la réalisation de sa vision sociale et politique.

Or cette vision incluait, notamment, la poursuite du projet eugénique d’amélioration génétique de notre espèce, ainsi que l’instauration d’une économie dirigée, d’extraction Marxiste –utilitaire et collective– qui assumerait résolument son devoir de maintenir les corps (et les esprits) du peuple, dans un état de “solidité et d’efficacité” (encore selon son discours du 5 janvier, 1916) même en supprimant, systématiquement, les nouveau-nés “défectueux”.

À suivre …

Le début du miracle: Anne Sullivan entreprit l’éducation d’Helen Keller quand elles avaient 7 et 20 ans respectivement. Ensemble, ces deux personnes transformèrent, par leur exemple, tout le champ d’éducation des sourdes et des aveugles.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre: H.K. : La conclusion d’une introduction)

Collectivisme utilitaire: les raisons économiques pour suggérer l’euthanasie des enfants handicapés

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV :La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: Collectivisme utilitaire: les raisons économiques pour suggérer l’euthanasie des enfants handicapés)

— Le “pourquoi” de l’infanticide sélectif

Notre tâche présente comprend la description de la proposition d’infanticide systématique présentée par Helen Keller en 1915, mais aussi, l’analyse des mobiles qui recommanda cette proposition, si favorablement, à tant de personnes de son époque

Or, commençons par la fin: À mon avis, le pourquoi du programme d’euthanasie utilitaire découle, tout simplement (autant en 1915 que de nos jours), du désir de maximiser la productivité du corps social, tout en délestant cette collectivité des éléments dépendants non-productifs; ou plus simplement dit: d’éliminer les bouches inutiles.

L’attrait de l’euthanasie, donc, serait économique.

Il est très important de garder ce constat simple à l’esprit, d’ailleurs, car même si les conclusions de Mme. Keller s’inscrivait (dans sa propre conscience) comme les conséquences rigoureuses de ses croyances Eugéniques et Socialistes, il ne faudrait pas tomber dans le piège de trop lier nos conclusions à la seule critique de ces systèmes. Car, au contraire, les forces économiques (tout comme les lois physiques) agissent de façon impersonnelle, dont la meilleure description tient de l’impartialité mathématique, et non des passions de l’idéologie. Et pour tout dire: dans la mesure que l’euthanasie puisse épargner de l’argent, son attrait serait universel.

Cependant, il faut toujours suivre la pensée de Helen Keller dans la forme qu’elle ait choisi pour l’articuler: une forme qui se soit moulée aux modes intellectuelles de sa génération. Dans ce qui suit, alors, je tenterai de découvrir avec transparence la logique des socialistes (et autres collectivistes utilitaires), pour lesquelles l’argument moralement neutre de l’économie se place toujours au centre des préoccupations.

— La santé publique, et personnelle, selon la vision collectiviste

Pour l’État Providence tel qu’il fut imaginé par Mlle Keller, toute politique devient ultimement une question de gestion de ressources.

Pour clarifier ce point, considérons d’abord sa compréhension des principes d’intervention de l’État providence (toujours à son époque un rêve du futur projeté) succinctement exprimée lors d’un discours prononcé devant le Labor Forum, à New York, dans le même mois que la publication de ses opinions concernant l’infanticide :

“L’État doit gouverner tout département de l’industrie, de la santé, et de l’éducation, de telle manière que les corps et les esprits, du peuple, soient maintenus dans un état de solidité et d’efficacité (italique de l’éditeur)”

Voici l’affirmation directe, et dans peu d’espace, des principes essentiels au collectivisme économique, présentés dans une forme idéologique qui occupe, dans quelque sort, la même place charnière que ce célèbre « chaînon manquant » de l’évolution humain (qui fut si ardûment recherché à la mème époque): car elle révèle la souche commune du collectivisme futur, avant sa bifurcation dans les deux grandes branches, Fasciste et Socialiste, de droit et de gauche, pratiquée quelques années plus tard. Voici, donc, l’essentiel de ce que toutes les ramifications de cette grande famille idéologique partagent en commun : L’État doit gouverner tous les aspects de la vie humaine, et ce, non pour le bénéfice des individus (quoique la protection publique de la santé des individus productifs en soit le sous-produit indéniable), mais plutôt: pour maintenir l’efficacité des individus dans le service de l’État, organisme collectif supérieur.

Beaucoup de cela, d’ailleurs, se recommanda très favorablement dans le nouveau environnement intellectuel d’affectation scientifique. Cependant, entre l’exhortation vers une gérance rationnelle de ressources communes, et une proposition franche de supprimer les effectifs humains improductifs, il se trouvent un gouffre éthique des plus profonds.

— Les réticences morales et les méthodes utilisées pour tenter de contourner celles-ci

Parmi l’auditoire-type de l’an 1900 il y avait, toujours, une majorité imposante de gens pour lesquelles la morale dominante fut celle de la compassion pour autrui, centrale pour la religion chrétienne, par laquelle nous sommes exhortés à respecter la subjectivité de l’autre, en nous référant à notre subjectivité propre ( “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, Marc 12:31)

Très évidemment, l’intérêt de l’individu serait de survivre, aussi dépendant fut-il. Or, jadis, selon l’ethos d’une valeur inhérente à la vie humaine (suffisante dans sa subjectivité en relation personnelle avec un ordre supérieur), il fut largement présumé que la protection des personnes dépendantes ait constitué un but idéal, permanent, vers lequel les énergies collectives devaient se diriger avec constance (et avec patience) selon les seules limites des possibilités réelles. En conséquence: même si elle pouvait être intuitivement attrayante, la notion d’évacuer les êtres dépendants dans le seul but d’éviter les dépenses inséparables de leur entretien semblait (pour plusieurs) simplement irrecevable.

Et c’est ainsi, je crois, que Mlle Keller (saisie de la nécessité de procéder avec subtilité en introduisant la nouveauté de son ethos collectif), aurait pris l’habitude Socratique de tenter, en premier lieu, d’amener son auditoire à admettre la nécessité logique de sa proposition, avant de la nommer avec précision. Elle ne nous dit pas, par exemple (au moins pas dans sa lettre d’appui au Dr Haiselden) que dans son univers moral, les intérêts de l’individu doivent, de façon axiomatique, être assujettis aux intérêts de la collectivité. Par contre, elle n’hésite pas à affirmer son corollaire pratique — que les coûts, pour les familles et pour la société, à maintenir l’existence des enfants handicapés, soient intolérables.

Surtout, elle commence par tenter de contourner le problème moral entièrement, en adoptant le vocabulaire des réticents: en faisant la redéfinition, en corrompant le sens, et très particulièrement: en pervertissant la notion de valeur “sacrée” (de la vie humaine).

— Recours à l’enthousiasme eugéniste

En se faisant la championne d’une nouvelle conception du “sacré” dans la vie humaine, Helen Keller s’en prévalait fortement de l’enthousiasme ambiante qui se manifestait, au même moment, à l’endroit de l’eugénisme.

Tout comme le fascisme et le socialisme, l’eugénisme projette des principes se voulant des plus “nobles”, qui se présentent en axiomes moraux, en compétition directe avec leurs contreparties traditionnelles. Pour l’eugénisme, encore, cela signifie une révérence pour l’amélioration biologique de l’être humain, par voie de purification génétique; et comme corollaire réciproque: un rejet vertueux de tout ce qui soit imparfait.

Mais il existe, toujours, des différences importantes entre l’eugénisme et les buts économiques, tout simples, de l’euthanasie utilitaire. Car les objectifs de l’eugénisme se résument seulement à favoriser la formation d’unions génétiquement désirable, et d’empêcher la transmission de traits nocifs. Une fois l’individu indésirable génétiquement neutralisé (avec la stérilisation, par exemple) il ne serait plus logiquement nécessaire d’évacuer cet individu personnellement. L’euthanasie strictement utilitaire, par contre (telle que suggérée par le proto-collectivisme de Mlle. Keller) relève d’une logique plus clairement ponctuelle et budgétaire: car il s’agit tout bonnement d’épargner (à la collectivité) les frais de l’engagement social reliés à l’entretien des déficients à long terme, sans autre mobile.

Or, par chance ou par dessin, les caractéristiques choisies par Mlle. Keller pour représenter la vie “sacrée” (“intelligence” et “pouvoir”) sont parfaitement adaptées pour soutenir le programme utilitaire. Car d’après cette analyse, la valeur de la vie individuelle est simplement redéfinie pour coïncider exactement avec son utilité pour l’État; et contrairement: le manque d’utilité à l’État, c’est-à-dire l’ absence d’intelligence ou de puissance physique –et la dépendance matérielle qui en soit le résultat– sont redéfinis pour signifier une exclusion du statut (protégé) de vie sacrée-humaine-utile.

— La généralisation, de la logique de l’infanticide utilitaire, pour annoncer l’évacuation éventuelle de tout être dépendant

Remarquons surtout, que l’existence d’une telle liste serait toujours plus importante que les éléments qu’elle contient, car pendant que nous nous amusions à considérer de la pertinence de tel ou tel élément, nous sommes en réalité amenés par l’auteur à accepté, sans critique, sa proposition centrale, soit : qu’il existe des caractéristiques dont la présence serait nécessaire pour estimer la vie; et son corollaire conséquent: qu’il existe des vies sans valeur; des vies que nous pouvons –ou plutôt que nous devions (par devoir sacrée)– éteindre.

De plus, cette définition des attributs positifs s’attaque non seulement aux enfants handicapés, mais potentiellement à la dépendance plus généralement, à tout être imparfait, que ce soit de façon intellectuelle (intelligence) ou physique (pouvoir), incluant toutes les lacunes possibles: de la folie à l’infirmité de l’âge. En admettant, donc, qu’Helen Keller ait su imposer son argument pour l’évacuation des nouveau-nés handicapés, la porte serait resté grande ouverte, au futur, pour bâtir sur le précédent ainsi gagné.

Par contre, le choix restreint des personnes directement ciblées dans la première instance, s’explique aussi par ce que ces personnes (les nouveau-nés handicapés), sont, de toutes, les plus vulnérables et les moins soutenues. Elles ne possèdent, très évidemment, aucun pouvoir pour se défendre personnellement; et elles bénéficient de très peu d’appuis extérieurs, du fait qu’elles n’auraient pas encore eu le temps nécessaire pour tisser des liens sociaux profonds avec les personnes autour (à la différence, par exemple, d’un enfant handicapé plus vieux, d’un camarade de longue date subitement devenu infirme, ou encore d’un parent vieillissant bien-aimé).

De manière plus générale, l’introduction progressive de la morale collective (voulant que les intérêts de l’individu –même les intérêts vitaux– soient subordonnés à ceux de la collectivité de façon axiomatique) non-seulement dans le contexte eugénique, mais aussi dans d’autres applications encore plus rudement disputées de la collectivisation économique (tel la confiscation projetée des biens personnels) ne pourrait pas se faire sans heurt. Or, dans ce contexte large, l’identification des nouveau-nés handicapés, comme une première cible relativement peu dangereuse, se recommanda très naturellement à l’esprit des stratèges.

Alors pour répéter l’essentiel: la proposition utilitaire d’Helen Keller est motivée, d’abord (selon l’analyse présente), par l’intérêt collectif économique (défini dans ses dimensions ethiques et quasi-religieuses les plus larges); et outre les calculs stratégiques qui limiterait son application initiale aux personnes les plus vulnérables, elle s’applique, potentiellement, à tout être humain chroniquement dépendant, quelles que soient les circonstances.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire : (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV : La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: “Bonheur”, “Intelligence”, et “Pouvoir” versus “Espoir”, “Foi”, et “Amour”: une fausse représentation de la satisfaction véritable, autant dans la vie “normale” que dans celle des personnes handicapées)

Les demandes (directives) anticipées d’aide médicale à mourir

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie D : L’euthanasie et la société — Section : Recommandations spécifiques — Chapitre: Les demandes (directives) anticipées d’aide médicale à mourir)

— Une obligation d’implémentation judicieuse

En décembre 2021, fut publié, au Québec, le Rapport de la Commission spéciale sur l’évolution de la loi concernant les soins de fin de vie: soit une Commission formée par l’Assemblée nationale du Québec pour étudier des changements possibles à la Loi 52, adoptée en juin 2014. (À voire: témoignage de l’auteur devant la Commission, vidéo du 19 août 2021; mémoire préalablement déposé, format pdf)

L’une des conclusions principales de cette Commission fut une recommandation d’accepter les demandes d’aide médicale à mourir (euthanasie) formulées par des personnes présentement inéligibles, en prévision d’un futur où l’inaptitude décisionnelle pouvait les empêcher de présenter une demande recevable.

Selon l’analyse faite dans ces pages (au sujet de la primauté de la liberté personnelle dans l’évolution sociétale au cours du dernier siècle), il serait difficile (ou impossible) de prétendre que cette liberté de choisir la mort, en prévision des éventualités futures, ait pu être refusée à ce moment, au Canada, et encore moins au Québec. Pourtant, cette innovation implique des changements majeurs dans la culture, clinique et institutionnelle, dont nous avons un devoir de bien gérer les effets: sur l’ensemble du personnel; et sur l’ensemble de la clientèle.

— Le choix érigé en principe premier, pour les uns, comme pour les autres

En premier lieu, le recours aux demandes d’euthanasie anticipées relève d’un choix. Nous avons, donc, la responsabilité de fournir des soins appropriés, autant à ceux qui choisissent cette option, qu’à ceux qui la refusent. Or, à travers les propositions de modalités d’implémentation retenues jusqu’à présent, nous nous apercevons d’un désir d’équilibrer ces intérêts divergents, surtout, de sorte qu’un accès facile et efficace soit offert (aux uns), sans indûment créer un risque de consentement accidentel (pour les autres).

Derrière cette approche se trouve la présomption, largement partagée de nos jours (et généralement présentée en évidence simple), que rien ne soit changé dans l’expérience clinique du patient-type, non-suicidaire, en autant que les formalités exigées (pour accéder à l’euthanasie) puissent nous assurer que les demandes acceptées sont de nature véritablement informée, et volontaire.

Pourtant (je soumets), rien n’est moins certain.

— Une méthodologie qui ne satisfait pas, adéquatement, les choix majoritaires

Imaginons, à cet effet, un patient hébergé en soins de longue durée, ayant reçu un diagnostic de maladie neurodégénérative et ayant choisi de faire une demande anticipée d’euthanasie (aide médicale à mourir); imaginons que cette demande ait été dûment présentée, acceptée, inscrite au registre des directives médicales anticipées, et figure, même, à l’endos de la carte d’assurance médicale dudit patient; imaginons, encore, que les symptômes du patient se rapprochent, de plus en plus, aux définitions préalablement envisagées pour actualiser la demande. Or (selon les formalités actuellement proposées), une requête de procéder avec l’euthanasie, comme telle, serait éventuellement présentée: soit par une personne de confiance nommée par le patient lui-même; ou (à défaut d’un tel signalement) par un membre de l’équipe soignante.

Remémorons maintenant ce fait essentiel, que selon les prévisions de la loi 52 (concernant les soins de fin de vie), toutes les institutions permettent la pratique de l’euthanasie. Il est donc présumé que le personnel de chacun de ces institutions soit favorablement disposé à l’égard de l’euthanasie (même si certains individus déjà en place ait pu s’en soustraire grâce aux exemptions de conscience). Par contre, avec l’ajout des demandes anticipées (conformément à l’exemple présenté ci-haut), il transpire qu’une nouvelle obligation ait été effectivement créée, soit: de suivre la condition du patient demandeur, en permanence, en évaluant constamment l’opportunité d’euthanasier celui-ci (en harmonie avec ses directives) un peu à la manière du jardinier attentionné qui surveille soigneusement le stade de maturité des différents fruits du verger dans le but de cueillir chacun au moment opportun.

Admettons, sans réserves, que telle situation répond parfaitement aux désirs exprimés par les patients ayant choisi de se prévaloir des demandes par anticipation. Admettons, aussi, que cela coïncide (également avec une concordance parfaite) à la vision de certains professionnels, ayant définitivement franchi le seuil d’une nouvelle interprétation de l’euthanasie: en véritable soin médical, utilisé pour répondre à des indices objectivement vérifiables, et non (en premier lieu) aux simples volontés du patient.

Pourtant, qu’en est-il des médecins qui croient que l’euthanasie n’ait aucun lien avec la médecine proprement dite (mais relève, à la rigueur, d’une revendication plus large de “droit-à-mourir”)? Que la demande d’euthanasie représente (logiquement) un refus de soins médicaux, qui requerrait (idéalement) un recours vers des professionnels procédant d’un mandat entièrement distinct ? Et qu’en est-il, enfin, de la majorité des patients, non-suicidaires:qui ne consentiront jamais à l’euthanasie; et qui ne peuvent, aucunement, se sentir en sécurité avec des professionnels qui croient, sincèrement, que la mort, pour eux, soit le “traitement” optimal?

Tout cela pour dire: qu’en créant un environnement clinique, qui réponde exactement aux désirs de certains patients (et certains professionnels), que –du même coup– nous en créons un qui soit parfaitement hostile aux autres.

— Des précisions numériques sur la répartition des choix exprimés

Il existe aussi une dimension quantitative à cette question, qui reflète celle de la popularité générale de l’euthanasie. Car, en dépit de toute attente (dans les premiers enthousiasmes suscités par l’événement de l’euthanasie), il parait clairement que l’instinct naturel rendra le choix de cette option fortement minoritaire, non seulement au Canada, mais partout ailleurs, et non seulement maintenant, mais (probablement) à tout jamais. Jusqu’à présent, par exemple, le plus fort taux d’euthanasie s’est manifesté parmi les patients cancéreux (de pronostic terminal) au Pays Bas, soit: 10% du total, (comparativement à 4% de l’ensemble des décès dans ce pays). Or, le point saillant qui ressort de ces faits consiste dans un constat, lucide, que les demandes anticipées d’euthanasie ne pourront que très difficilement dépasser ce taux de 10% (observé parmi les patients les plus éprouvés dans le pays qui en possède la plus grande expérience), et donc: que les patients éligibles pour l’euthanasie (par demande anticipée ou autrement) poursuivront toujours leur chemin vers la mort naturelle (chez nous) dans une proportion d’au moins 90%.

Voila, alors, qui militerait fortement pour une normalisation, institutionnelle, de la satisfaction du choix non-suicidaire.

— Une proposition méthodologique qui soit fondée, non dans le compromis, mais dans la satisfaction intégrale de besoins distincts

Selon l’opinion présente, la clé pour formuler une politique harmonieuse d’euthanasie, en milieu institutionnel, se trouve dans un constat franc de la division du marché médical: à la fois du côté des patients (les clientes); et de celui des professionnels médicaux (les fournisseurs de services).

Étant donné qu’il existent des patients qui désirent l’euthanasie (et d’autres qui n’en désirent pas), ainsi que des professionnels médicaux qui supportent l’utilisation médicale de l’euthanasie (et d’autres qui ne la supportent pas), il est évidente qu’il puisse exister d’occasions où clients et fournisseurs sont mal-assortis: que des patients désirant l’euthanasie puisse se sentir contrés, dans leur choix, par des professionnels non-sympathiques à cette pratique; et que des patients qui désirent vivre (malgré les circonstances) puissent se sentir en situation d’insécurité dans la présence de professionnels qui croient, sincèrement, que ce prolongement de vie soit inutile. Au mieux, je soumets, il serait désirable de faire soigner chaque patient par des professionnels avec lesquels les opinions à ce sujet, seront compatibles.

— Une recommandation de taches et de responsabilités, adaptée aux circonstances, et aux personnes

Pour favoriser l’apparition organique de cette distinction salutaire, je suggère que l’équipe soignante n’ait aucun rôle à jouer –ni dans l’évaluation, ni dans la réalisation– des euthanasies accomplies par demande anticipée; que toute responsabilité reliée aux volontés enregistrées reviennent, en exclusivité, à des professionnels spécialistes, servants du registre: pour faire des visites de constat périodiques auprès de la clientèle inscrite, et au besoin, pour exécuter les termes des directives en vigueur; et finalement, que tout signalement pertinent d’état, emmenant de l’entourage du patient, soit fait auprès des instances chargées à cette fin, et non auprès des soignants en devoir.

— Les effets positifs escomptés

D’après ce système, la réalisation des volontés (exprimées par le patient), seraient fidèlement exécutée –non par les agissements aléatoires de proches (ou de soignants cliniques impliqués dans cette responsabilité de maniéré accessoire)– mais par des professionnels spécialisés, dont les décisions relèvent d’une standardisation de pratique gagnée dans un contexte d’expérience routinière.

Le seul inconvénient, potentiel (pour le patient inscrit au registre), serait la possibilité d’une survie temporaire au-delà des limites contractées (dépendant du rythme des visites d’évaluation choisi par l’État). En contrepartie de cet inconvénient, cependant, se pose une garantie, certaine, de l’exécution des volontés enregistrées, impersonnellement, et à l’abri de toute ingérence (ou obstruction) emmenant de tiers (agissants –ou s’abstenant d’agir) sous l’effet de considérations personnelles, ou d’émotions résultant de leur familiarité avec le patient concerné.

La clientèle typique pour leur part, bénéficierait, ainsi, d’un gage supplémentaire de sécurité –pour eux et pour leurs familles– de recevoir des soins optimaux, offerts sans arrière pensée par une équipe soignante inconditionnellement vouée à soutenir la vie de chaque patient; et ce, sans considération de la gravité de son état, ni du degré de dépendance exhibé; un standard de soins, d’ailleurs, dont bénéficierait, également, le demandeur d’euthanasie par anticipation, aussi longtemps que cela lui soit convenable.

Pour les professionnels soignants, enfin, le chemin serait ouvert, de nouveau, pour cultiver une certitude partagée dans la nature de la mission thérapeutique: pour favoriser le maintien d’une culture clinique sans ambiguïté, uniquement informée –jusqu’à l’intervention ponctuelle d’autres choix, d’autres mandats, et d’autres professionnels– par les valeurs traditionnelles de la médecine hippocratique.

En somme, il est possible pour tous –patients et professionnels– de trouver satisfaction dans l’exercice de leurs choix individuels: tout en respectant la diversité actuelle du marché médical.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire : (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie D : L’euthanasie et la société — Section : Recommandations spécifiques — Chapitre: Une proposition d’accréditation, facultative et obligatoire, à l’intention des praticiens de l’euthanasie)

La victoire sublime de la morale chrétienne: Friedrich Nietzsche; Sermon sur la Montagne; l’Empereur Constantin 1ier

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: La victoire sublime de la morale chrétienne: Friedrich Nietzsche; Sermon sur la Montagne; l’Empereur Constantin 1ier)

Le Sermon sur la Montagne; mosaïque byzantine; sixième siècle

— La critique morale de Friedrich Nietzsche: morale d’esclave, et morale de maître

La pensée de Friedrich Nietzsche (1844 – 1900), associe le Christianisme à ce qu’il appela “la morale d’esclave” (fondée sur la bonté et sur la compassion à l’égard d’autrui) par opposition à “la morale de maître” (qui se définisse, selon lui, par la fierté, et par le pouvoir).

Dans cette vision du monde, le “maître” (c’est à dire l’homme naturel) cherche son propre bien (parce qu’il le peut), tandis que “l’esclave” cherche le bien commun (parce qu’il y soit contraint). Le maître démontre sa noblesse en imposant son pouvoir sur les autres; l’esclave trahit son caractère ignoble dans l’acceptation de son impuissance.

En particulier nous trouvons la citation suivante:

“Au départ, la foi chrétienne c’est le sacrifice: le sacrifice de toute liberté, de toute fierté, de tout esprit de confiance en soi; c’est, à la fois: l’auto-assujettissement, l’auto-dérision, et l’auto-mutilation.” –Friedrich Nietzsche, “Par-delà le bien et le mal” (1886).

Ce qui manque dans cette analyse, pourtant, se trouve dans l’absence criante d’une question aussi évidente qu’essentielle, à savoir: Pourquoi la quête d’actualisation autonome et personnelle n’aboutirait-elle pas dans une conviction que la compassion, et une attention volontaire au bien commun (chez une personne qui possède le pouvoir de choisir à son gré) ne soit, en fait, le plus noble des choix?

Cette question, d’ailleurs, n’a pas toujours été uniquement théorique. Au contraire, elle s’est constamment posée, directement, à la conscience et aux cœurs des personnes de la classe maître. Et la réponse éventuellement fournie explique, à elle seule, la victoire gagnée par la religion chrétienne dans la compétition existentielle qu’elle livrait, à ses origines, avec les traditions antécédentes de l’Empire Romain (et de la civilisation antique tout court); une compétition perdue d’avance dans l’arène habituelle de la contestation violente, mais gagnée, pourtant, dans les cœurs et dans les esprits.

Car le Christianisme était, littéralement, une religion d’esclaves, et n’aurait jamais pu s’imposer autrement que par le choix, libre, de ses adeptes. Or, aussi invraisemblable que cela puisse nous paraître aujourd’hui: par la seule force de son exemple moral, le Christianisme vainquit deux-cent-cinquante ans de persécution officielle (parfois extrêmement sévère) pour devenir un culte légal (selon l’Édit de Milan, 313 AD), et la religion d’État de tout l’Empire (380).

— La morale Chrétienne d’après le Sermon sur la Montagne (circa 30 AD)

Pour dire l’essentiel, la morale Chrétienne en est une d’amour, où (selon les leçons de Abraham et Isaac, du Décalogue, et du Bon Samaritain): il est présumé que tout homme existe en relation filiale avec un Père divin dont l’attribut principal se résume dans un souci bienveillant à l’égard de sa progéniture; que les hommes (ainsi conçus comme des enfants de Dieu) s’abstiendront de faire du tort envers leurs semblables; que l’adepte ressente un souci bienveillant, à l’endroit de son prochain, qui soit égal au souci ressenti à son propre égard; et que cette bienveillance se porte non seulement aux personnes proches, mais à la famille humaine entière (incluant, même, les membres de races et de sectes antagoniques).

L’une des plus limpides des expositions de cette morale se trouve dans le Sermon sur la Montagne, raconté dans l’Évangile selon Mathieu, chapitres 5-7.

Dans ce discours, Jésus exhorte les fidèles à pratiquer une bienveillance à l’égard de tout le monde, sans exception, en imitation de l’amour de Dieu:

“afin (selon Mathieu, 5: 45) que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.”

En exemples particuliers, Jésus y donna les conseils suivants:

(Mathieu 5: 38) “Vous avez appris qu’il a été dit: œil pour œil, et dent pour dent.

39 Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre.

40 Si quelqu’un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.

41 Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui.

42 Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.”

Aussi, cette injonction dépasse les actions, ouvertes et visibles, pour comprendre même (et surtout) les intentions et les sentiments:

“43 Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi.

44 Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent…”

En somme, selon les paroles réputées de Jésus, adressées il y à deux mille ans devant la foule à Galilée: cette bienveillance idéelle, cultivée par le fidèle en imitation de la bienveillance divine, se conduirait jusqu’à l’amour (volontaire) des ennemis, et au retour du bien pour le mal qui nous soit offert.

.

L’Empereur (et Saint Orthodoxe) Constantin 1ier (272 – 337 A.D.) est crédité d’avoir rétabli l’unité de l’Empire Romain (324) avec une nouvelle capitale, Constantinople, bâtie sur le site grecque de Byzance (aujourd’hui Istanbul). Fait très notable, Constantin arrêta la persécution des Chrétiens (312), et adopta lui-même, sur son lit de mort, ce culte religieux. Soixante-dix ans plus tard (380) le Christianisme fut adopté par les Romains comme religion d’État.

Tête du colosse en bronze de Constantin, réalisée vers 326

— Une victoire philosophique du premier ordre

Friedrich Nietzsche nous invite à mépriser ces préceptes en évoquant le statut inférieur des personnes qui s’y adhéraient dans la première instance. Il prétendait, ainsi, que seulement l’impuissance totale (des Juifs devant les Romains, par exemple, ou de l’esclave devant son maître), ait pu produire un telle éthique; que seulement une personne incapable de résister aux méchants en ferait un vertu de la passivité (voir de la couardise), et encore plus de s’y accommoder en se disciplinant à aimer son persécuteur.

Soit. Le Christianisme fut réellement (au départ) une religion d’esclave. Mais d’où viendrait le mépris en conséquence ? Au contraire, il s’agissait de personnes qui ne possédaient aucun pouvoir, et qui se faisaient cruellement abusées par autrui; il s’agissait de personnes pour lesquelles les balivernes conventionnelles “de regarder du côté positif ” ne pouvaient plus porter secours, car effectivement, de côté positif, il n’y en avait point; il s’agissait, donc, de personnes qui habitaient un univers dont le bien fut entièrement absent. Et pourtant ! Ce fut aussi des personnes inconditionnellement convaincues d’une intention positive dans la création du monde; des personnes qui n’acceptaient pas de renoncer à cette vision idéelle; des personnes (à défaut de pouvoir constater ces qualités dans la réalité autour), qui s’efforçaient à trouver toujours le bien (et l’amour) dans la seule place qui se soit encore trouvée sous leur gouverne, c’est à dire: parmi eux; et dans l’extrémité finale: à l’intérieur de chaque individu –en résonance (uniquement) avec l’amour divin, à l’abri de toute volonté externe. Ce fut des personnes, alors, qui déterminaient, toutes seules, que le bien existerait malgré tout (comme Dieu a déterminé la création du monde) –simplement puisqu’elles aient voulu que cela en soit ainsi!

Loin, alors, de la servitude méprisable (si dédaigneusement dépeinte par M. Nietzsche), cette doctrine constituait une victoire inconditionnelle (et invincible) de l’esprit humain; pratiquée unilatéralement par les plus faibles à l’encontre des croyances –des préjugés et des superstitions– offerts en auto-justification par les plus forts. Ce fut (au moins pour ceux qui désirent de tout temps résister au discours nihiliste) l’une des plus importantes victoires dans l’évolution consciente de notre espèce.

Et loin, encore, d’un accommodement sordide à l’égard du pouvoir, concédé dans le but d’éviter la souffrance (et réalisé au prix de l’honneur personnel), cette doctrine permettait de persévérer, en témoin du vrai, malgré la souffrance présente; de choisir la vie, malgré les plus difficiles des épreuves; de réaffirmer, ainsi, l’intention positive de la création, en partenariat (volontaire) avec son Créateur.

— La victoire étonnante du culte Chrétien dans la crépuscule de l’Empire Romain

Au-delà des idées, au niveau de l’action: l’exemple universellement révéré parmi les fidèles, a toujours été un de fermeté devant le martyre. Non, veut-on dire par là, la simple lutte contre l’oppression et le tort (aussi longtemps que cela puisse être possible), mais devant l’inutilité manifeste de toute résistance: le refus de renier sa foi –passif et patient– quelque soient les conséquences. Et tel fut l’exemple souvent fourni par les Chrétiens dits “primitifs”, devant le pouvoir incontesté, et incontestable, de l’État romain.

Les Romains, pour leur part, ne demandaient même pas aux Chrétiens d’abjurer leur foi; ils demandaient seulement –au point de l’épée– que ces Chrétiens aient l’obligeance d’admettre, aussi, la divinité des Césars Romains (ce qui fut pour eux une simple formalité d’appartenance civique); et rien de plus! Décidément, alors (au cas qu’eussent été véridiques les charges d’infériorité morale portées par Friedrich Nietzsche) nous présumerions logiquement que toutes ces personnes eussent rendu cet hommage avec la plus grande facilité.

Pourtant, il n’en était rien.

Encore, et encore, du fond des cachots, sous la torture –en privé ou dans des endroits de supplice publiques comme la célébré Colisée– un nombre important de ces infortunés refusèrent, catégoriquement, de faire cette concession minime. Or ce fut ainsi que les Chrétiens, et le Christianisme, gagnèrent leur victoire invraisemblable sur l’État romain. Car parmi les spectateurs aux humiliations publiques infligées sur ces gens, il y avait des citoyens romains plus sensibles (ou plus réfléchis), qui étaient favorablement frappés par cette démonstration de supériorité morale, très évidente, exhibée par des personnes objectivement impuissantes, mais qui refusaient, quand-même, d’abdiquer leur jugement intérieur sous l’argument simple de la force.

Paradoxalement, donc, à l’opposé exacte des conclusions de Nietzsche, il semble que ces Romains pensifs (souvent parmi la classe élite), jugeaient que les martyres Chrétiens incarnaient –dans une mesure superlative– précisément les valeurs traditionnelles de leur propre “société de maître”; combinant, à la fois, les vertus stoïques de leur philosophes, et le courage altruiste de leur héros. Les Romains, dans un mot, étaient progressivement séduits par le Christianisme.

Une culture souterraine s’est développée au cours de ces trois siècles, souvent aux plus grands risques des adeptes Romains, qui s’est éventuellement propagée jusqu’à l’Empereur Constantin 1ier, et à sa mère Hélène (Sainte, aussi, des traditions Catholique et Orthodoxe), résultant non dans l’extirpation anticipée du Christianisme (par l’État romain), mais au contraire, par l’adoption éventuelle du Christianisme en religion d’État!

Friedrich Nietzsche décriait vigoureusement ces faits. Il regrettait amèrement que les maîtres se seraient laissés corrompre; pour adopter, à leur tour, la morale (et donc le statut) des esclaves. Pourtant, quand Nietzsche prétend que “l’humilité par choix” (revendiquée de tout temps par les Chrétiens) ne serait qu’une basse supercherie (étant au départ une humilité imposée par la force des maîtres), il y a faiblesse d’argument évidente. Car rien dans cette logique ne peut expliquer le choix, librement épousé (à leur péril personnel), par tant de membres de l’élite romaine.

Posons de nouveau, alors, notre question de départ : Pourquoi la quête d’actualisation –autonome et personnelle– n’aboutirait-elle pas dans une conviction que la compassion, et une attention volontaire au bien des autres, ne soient le plus noble des choix?

Ou comme la notion fut présentée avec tant d’éloquence par le chanteur britannique Mick Lowe (1947 -): What’s So Funny ‘Bout Peace, Love & Understanding? (Qu’y a-t-il de si drôle dans l’amour, la paix et la compassion?) (Brinsley Schwarz, 1974)

.

Remémorée pour les cirques et pour les combats de gladiateurs, la Colisée servait, d’ordinaire, pour les exécutions publiques de tout genre. Quelques 500,000 personnes moururent dans ce lieu, dont environ 3,000 martyrs Chrétiens.

Un condamné tué par léopard, mosaïque romaine, Tunisie, deuxième siècle

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: La propagation peu probable du Christianisme, dans la crépuscule –et dans la désintégration– de l’Empire Romain: une conversion pacifique, réalisée par des appels missionnaires, à la conscience personnelle)

“Adieu à Berlin”, “Cabaret”, Christopher Isherwood, et Jean Ross: enfants d’élite au cœur d’une mode multi-générationnelle

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre: “Adieu à Berlin”, “Cabaret”, Christopher Isherwood, et Jean Ross: enfants d’élite au cœur d’une mode multi-générationnelle)

Boite de Nuit, Berlin, vers 1930

–La tendance échappiste de l’Entre-deux-guerres

L’échappisme (en anglais: “escapism”) est un phénomène étroitement associé à la période des crises de l’Entre-deux-guerres, et est souvent évoqué dans sa description. Deux éléments, en particulier, tendent à distinguer l’expression de l’échappisme, à ce moment précis, des formes plus normales (et même bénéfiques), de l’idéation imaginaire.

Premièrement, l’échappisme des années vingt, et trente, tendait rapidement vers l’extrême. La lecture, par exemple, est louée de tout temps comme un véhicule d’expérience, et donc d’éducation, qui permet un dépassement de soi qui est autrement impossible pour l’individu particulier (quelque soit ses moyens financiers). Il est compris que l’accès imaginaire, ainsi gagné, permet non seulement le déplacement psychique (autant dans le temps que dans l’espace), mais permet, également, un partage des expériences psychologiques, des personnages présentés, ainsi que de leurs auteurs. Conçue et vécue, donc, comme un ajout à l’expérience réelle, l’exploration littéraire –même franchement fantastique– fournit une expansion très importante de la sagesse personnelle. Et les mêmes commentaires s’appliquent, au cinéma, et aux autres arts. Passer trop de temps dans le royaume imaginaire, par contre, cesse d’être un exercice d’éducation (où même d’évasion récréative salutaire) pour devenir une fuite devant la réalité et ses responsabilités. Les moyens employés pour échapper, aussi, peuvent devenir plus extrêmes, passant de la littérature, et de la spéculation consciemment imaginaire, vers la recherche d’une véritable vie alternative, souvent fondée dans la consommation de produits psychotropes, tel l’alcool.

Mais la deuxième particularité de l’échappisme de l’Entre-deux-guerres, et la plus importante, résidait dans sa généralisation. Car l’évasion, pendant cette période –incluant l’évasion extrême et pathologique– se présentait en phénomène non plus uniquement personnel, mais collectif, de sort que la société, au complète, semblait vouloir s’échapper à elle-même.

L’Allemagne au cours de la république de Weimar (1918 – 1933)

— Les boites de nuit, comme point focal et métaphore d’évasion: Christopher Isherwood, “Adieu à Berlin”, “Cabaret”

Le point de référence littéraire, avec lequel la description de ce phénomène fut léguée aux générations subséquentes, ainsi que le point d’entrée initiatique par où passèrent tant de nouveaux adeptes de cette mode d’évasion, se situa dans les fameuses “boites de nuit” de l’époque –des plus fastes aux plus minables– caractérisées en Amérique par les débits de boisson interdits de la Prohibition (les “speakeasy”), et en Europe, par le “théâtre magique” de Hermann Hesse (voire: l’Ange Bleu de Heinrich Mann).

En 1939 un roman fut publié à ce sujet par Christopher Isherwood (1904 – 1986), qui décrit les expériences de l’auteur dans le monde de plaisir parallèle qu’il découvrit à Berlin (1929 – 1932). Ce livre (“Adieu à Berlin”) servit d’inspiration pour un pièce sur Broadway (1951) et un film (1955) intitulés “Je suis une camera” (I Am a Camera), (titre qui souligne l’intention de l’auteur de s’offrir en témoin, naturel et passif, devant les faits observés); et pour une production musicale de Broadway, “Cabaret” (1966), qui aboutit dans le film de grand succès, paru en 1972.

Le récit change, certes, au cours de cette évolution. Le premier rôle masculin, est tantôt américain, tantôt britannique, et pour la vedette de cabaret, Sally Bowles, ce serait l’inverse: britannique d’abord et américaine par la suite. L’homosexualité d’Isherwood, aussi (et en conséquence la perspective détachée de l’histoire), sont partiellement compromises par l’intrigue romantique homme-femme avancée dans “Je suis une camera” (et avec un peu plus de nuance dans “Cabaret”). Pourtant, l’essentiel du livre est conservé à travers le tout, c’est à dire: la fascination d’Isherwood, en bohème marginal –intellectuel et auteur– devant les artistes (et habitués) qui animent cette société de plaisir, dont il habite familièrement les chambres, et partage les débauches.

Nous nous y trouvons en continuité (mais en rupture à la fois) –dans l’esprit, et dans le ton– avec les regrets exprimés par les chroniqueurs Parisiens du siècle précédent. Car Isherwood, comparativement, ne regrette rien. La nature fondamentalement tragique du monde dépeint est embrouillée, pour lui, dans un doux sentiment de chagrin nostalgique, exprimée avec simplicité dans le premier titre: “Àdieu à Berlin”; une nostalgie ressentie devant l’éloignement personnel d’Isherwood, bien sûr, mais aussi devant la suppression générale de toute cette société d’exception, dans la sévérité morale des Fascistes triomphaux, à partir de 1933.

Christopher Isherwood 1904 – 1986

Avec une subjectivité de jeunesse totale, alors, comme un enfant qui ferment les yeux: Isherwood fait disparaître le tout –personnes et lieux– en dirigeant sa “camera” ailleurs. Pourtant, le souvenir collectif de cet épisode culturel –aussi bref que influent– reste profondément marqué par les impressions de cet auteur.

— Cabaret et L’Ange Bleu

Outre l’évolution conceptuelle du film Cabaret (à partir du roman de jeunesse de Christopher Isherwood), il existe, aussi, une ligne de filiation cinématographique, très évidente, qui lie ce film à l’Ange Bleu.

Cabaret, film, 1972

Toute personne ayant visionné les deux films ne pourrait que faire ce rapprochement, je crois, car tout dans les caractères secondaires, et dans le décor du Kit Kat Club (Cabaret), semblent relever d’une réédition des elements de l’Ange Bleu. Les femmes pochées et désabusées de l’orchestre, par exemple, ainsi que le Maître de Cérémonie (et la vedette chanteuse elle-même), portent des costumes inspirés du film précédent. La même atmosphère de glamour décrépite habite les deux, et la même présentation sardonique des réalités crues (“even the orchestra is Bea-u-ti-ful!”).

Pour plusieurs, le véritable caractère fétiche du deuxième film (Cabaret) n’est pas celui de la chanteuse Sally Bowles (Liza Minnelli), mais plutôt celui du Maître de Cérémonie (Joel Grey). Ce personnage reflète, dans son autorité, le caractère précédent de Kiepert (magicien, directeur de troupe et gérant de Lola Lola); mais dans sa perversité complice, il s’approche aussi au clown –muet, fatigué, se déplaçant au ralenti, et probablement drogué– qui hante les premiers scènes de L’Ange Bleu. Dans cet amalgame, le M.C. se présente à la fois en diable (dirigeant la misère de ses collaborateurs) et en damné (la proie et le produit, lui-même, de ce milieu).

Dés le premier chanson du film (“Willkommen”), ce caractère complexe présente directement le phénomène d’évasion qui attire son clientèle. Il loue la nature échappatoire du Cabaret: où des personnes, riches ou pauvres, désespérées devant le sort, ruinées par la guerre (ou par la crise), parfois objectivement trop pauvre, même, pour vivre, viennent toujours dépenser leur argent, dans le faux espoir d’échapper aux détresses réelles. Il évoque fidèlement, ainsi, une industrie frauduleuse où des travailleurs encore plus misérables (prostituées, artistes, barmans, et videurs) exploitent cyniquement la clientèle (leurs “patients”), mais qui sont déchus, eux-mêmes, de la liberté et de la dignité, en ce faisant.

Il y a, donc, une continuité évidente (entre l’Ange Bleu et Cabaret), dans la matière et dans les lieux. Dans le ton, cependant, et dans les sympathies excités parmi les auditeurs, il s’est produit un changement énorme pendant les trente années qui séparent ces ouvrages. Car de par une étrange alchimie affective, et sans que la nature des phénomènes décrits ne soit changée, les sentiments de mépris et de dégoût délibérément sollicités par Heinrich Mann se sont transformés dans une pulsion d’attirance positive! Et ce qui se présentait, jadis, en faits sordides, se recommande en détails caractéristiques, presque charmants!

Joel Grey (1932 – ); le “Maître de Cérémonie”, Cabaret, 1972

Or, toutes les contradictions internes de Cabaret, ainsi qui ses différences à l’égard de l’Ange Bleu, sont distillées dans le rôle de Sally Bowles, peint d’après une personne tout à fait réelle, et bien connue de Christopher Isherwood, l’enfant terrible britannique: Jean Ross (1911 – 1973).

— La réalité des personnages: Christopher Isherwood et Jean Ross

Isherwood et Ross étaient tous deux issus de l’élite luxueuse du Royaume Uni Impérial de l’Avant-Guerre: ils étaient tous deux surdoués, et tous deux chassés d’écoles prestigieuses.

Toute jeune, Jean Ross suivait un chemin artistique, provocant et amoral, d’actrice, de modèle, de chanteuse et (éventuellement) de critique. Un peu plus tard (après sa période “Cabaret” en Allemagne), elle s’est transformée, à l’âge de 25 ans, en Marxiste Stalinienne, écrivaine de propagande en Espagne pendant la Guerre Civile (1936 – 1939). Apparemment, la politique révolutionnaire lui fournit une vocation durable. Car par la suite, ce fut le Communisme (et non l’Art) qui constitua sa passion principale.

Christopher Isherwood, aussi, se trouvait profondément aliéné face aux valeurs de ses origines. Car si Isherwood, père, avait été aristocrate, soldat professionnel, et mourut dans la Première Guerre, son fils Christopher (Marxiste et Anti-Impérialiste) évita complètement le service militaire au cours de la Deuxième, s’exilant, en Amérique, pour ce faire. Or, au moment des événements romancés, sa vie d’écrivain hédoniste l’avait amené à Berlin (1929). Et c’est alors qu’il embrassa, avec enthousiasme, la vie nocturne dans cet environnement extraordinaire, devenant camarade de chambre (et complice homosexuel), de l’artiste féminine, agressivement aventurière, qui fut, à cette époque, Jean Ross: elle à vingt ans, lui à vingt-six.

Jean Ross 1911 – 1973

En essence, donc, tous deux étaient des jeunes exilés, touristes culturels, de la classe élite.

–Où la misère licencieuse devient un but idéel

Traditionnellement, c’étaient uniquement les clients (des mauvais lieux) qui cherchaient (de manière volontaire) l’illusion de liberté dans la débauche. Les travailleurs de l’industrie du vice, eux, y accédaient surtout, par voie d’obligation et de contrainte.

Charles Baudelaire (1821 – 1867), par exemple, ne se serait jamais volontairement identifié au personnel servant, tandis que sa maîtresse attitrée, Jeanne Duval (1820 – 186x) en faisait partie d’emblée, par l’obligation du sort (assortie, bien sûr, de talents particuliers). En type littéraire, donc, le caractère vicieux de Lola Lola en est un manifestement imposé par le destin; un produit organique de la débauche commercialement systématisée. Et c’est pour cette raison que son personnage, même prédateur et cruel, excite toujours notre sympathie, dans la mesure qu’elle ait pu surmonter, ainsi, la tyrannie des circonstances.

Mais que peut-on dire du nouveau désir à la mode (de ces enfants d’élite), de quitter le statut privilégié de client et de patron –d’homme ou de femme “du monde”– pour vouloir reproduire la vie (à la manière de Jean Ross) des personnes normalement affectées à la satisfaction de leurs désirs et à l’alimentation de leurs fantasmes ?

Liza Minnelli (1946 – ) dans le rôle de Sally Bowles, Cabaret, 1972

Manifestement, le personnage mi-fictif, Sally Bowles, n’est aucunement adaptée à son milieu d’adoption (et cela en opposition évidente avec ses prétentions, tant vives, au cynisme sophistiqué). Car elle est essentiellement naïve, bon enfant, et spontanément généreuse — autant de son caractère que de sa personne: “aussi fatale” (d’après le portrait complice mais lucide de Christopher Isherwood), “qu’une pastille de menthe après le souper”. Nous sommes très loin, alors, des personnages plus natifs: de Lola Lola, de Giepert, du Clown, et du Maître de Cérémonie! À la fin, le caractère de Sally Bowles (peint en imitation de Mlle. Ross) se révèle autant mystifié, à l’intérieur de ce système d’illusion commerciale, qu’en était la clientèle payante.

— Un idéal esthétique, et un enthousiasme futur, qui échappèrent à la compréhension, et aux intentions, de ses créateurs

Toutes ces contradictions furent bien connues des créateurs du film Cabaret. Elles étaient, d’ailleurs, parfaitement comprises de Christopher Isherwood, lui-même. Et il ne manquait pas, à l’un comme aux autres, de réflexes artistiques pour en tirer les leçons. L’illusion de pouvoir, par exemple, dont Sally Bowles se vante si vigoureusement en remémorant ses aventures casuels, se révèle d’une sordidité pénible, aussi, à l’occasion d’un avortement dangereux et éprouvant. De la mème maniéré, l’amoralité flexible de l’échappatoire Cabaret est rondement critiquée dans une dernière scène où le Maître de Cérémonie incorpore, dans son costume, les emblèmes du Parti Nazi.

Mais de la mème façon que les leçons morales de l’Ange Bleu furent occultées devant l’enthousiasme engendré par la puissance sexuelle de Marlène Deitrich, les réflexions critiques soulevées par “Adieu à Berlin” et “Cabaret” furent vite oubliées dans l’attrait d’une évasion dans la décadence (et pour l’élite d’une évasion dans la misère volontaire) suscité par les exemples de Christopher Isherwood, de Jean Ross, et (quarante ans plus tard), par celui de Liza Minnelli.

Or, ce fut cette mode échappiste (de nostalgie dans la décadence et dans la misère de l’Entre-deux-guerres) qui était ainsi léguée aux générations futures –aux adolescents presque religieusement émulatrices– de la Contre-Culture du deuxième moité du vingtième siècle.

Le club “Eldorado”; fermé en 1933, et converti en locale Nazi

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Le regard américain tourné de nouveau vers le Vieux Continent; un lien de destin inéluctable; le tourisme artistique et intellectuel)

Un personnage politique tout à fait extraordinaire : Féministe, Marxiste, et Eugéniste

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Un personnage politique tout à fait extraordinaire : Féministe, Marxiste, et Eugéniste)

— Une alliance savante de nature et d’art, où l’effet de l’un se voit avantageusement rehaussé par l’autre

La juxtaposition de courage dans la fragilité, qui fut présenté par Helen Keller comme caractère publique, rendait la tache de ses adversaires extrêmement difficile. Car toute attaque directe ne faisait qu’augmenter son pouvoir. Et Helen Keller en était pleinement consciente.

En plus de son intelligence native, et de son éducation avancée, elle exploitait sciemment et magistralement les cartes émotives de son handicap et de sa nature féminine. Mais qui pourrait lui rapprocher ces faits ? L’avantage ainsi gagné ne pourrait jamais fournir un contrepoids suffisant pour pallier aux désavantages énormes qui lui étaient imposés par le sort. Or, le miracle de Helen Keller réside dans l’effet monumental qu’elle ait réussi à produire, en utilisant chaque atome de potentiel dans sa personne et dans ces circonstances.

Habituellement, bien-sûr, de tels caractères ne sont que des personnes-fétiche largement inarticulées, sorties uniquement pour solliciter une réponse émotive; et leurs adversaires parviennent souvent à les neutraliser, dans cet esprit, en les accueillant chaudement avec une condescendance exagérément protectrice. Il en résulte une situation, alors, où les manipulateurs oppositionnels peuvent projeter, à leur égard, une présomption de superficialité dans la compréhension des idées en cause, tout en les témoignant un respect des plus effusif. Dans le cas d’Helen Keller, cependant, de telles stratégies risquaient de se retourner rudement contre leurs inventeurs, car au contraire de la règle générale, son érudition faisaient en tout point un complément digne à la sympathie humaine qu’elle inspirait.

En somme, Helen Keller se trouvait objectivement au-dessus des généralités. En plus de ses preuves de caractère exceptionnel, fournies par le seul fait de pouvoir fonctionner dans la vie active en dépit de son handicap extrême; en plus de sa feuille de route à l’avant-garde dans l’organisation de l’éducation des sourds et des aveugles; et en plus de son rôle d’agitatrice de la gauche révolutionnaire: Helen faisait également partie de la première vague de femmes qui demandait un statut d’égalité, non pas par voie de champions idéologiques interposés, mais personnellement, agissant dans son nom propre.

Pas –pour souligner la grandeur de l’exploit– dans un monde comme celui de la deuxième moitie du vingtième siècle, là où des lois déjà existants, d’égalité des personnes, ne demandaient mieux qu’à être résolument invoquées, mais bien: dans un monde ou les femmes, universellement, n’avait pas le droit de vote, et même pas –dans le système Britannique qui prévalait au Canada– le statut de « personne » devant la loi; et –chose particulièrement difficile à comprendre pleinement de nos jours (là où la pénicilline, la pilule, et l’avortement promettent des remèdes ponctuels aux importunités de la biologie): dans un monde ou les maladies « sociales » mutilaient et tuaient, tandis que les relations sexuelles étaient presque indissociables des responsabilités de la grossesse.

— Le caractère féminin, avant-garde, de Mlle. Keller

Traditionnellement, le portrait littéraire de la femme romantique se restreignait à cette pauvre héroïne qui ne faisait que se complaire, dans son émotivité et dans son impuissance de femme, en attendant l’arrivé du héros sauveur (selon Edmund Spenser, 1552 – 1599, La Reine des fées) ou encore (selon la tendance anti-conventionnelle), cette nouvelle héroïne, torturée, qui se perdrait dans le triste labyrinthe de l’adultère et de l’aliénation sociale, telle que décrite par Tolstoi (Anna Karina) ou par Flaubert (Mme Bovary); et au quel sujet, ironiquement: même la révolte sociale est articulée à travers l’intrigue sexuelle. Car, il semble que l’on imaginait, paradoxalement, que l’évolution personnelle des femmes ait du se produire à l’intérieur des rôles existants.

Les penseurs masculins cités, par exemple, spéculaient (au sujet des femmes) sur différentes formes de relations sexuelles avec les hommes, et alors sur différents contextes d’enfantement; mais ils ne remettaient pas en cause cette prémisse essentielle, voulant que la vie des femme serait définie, d’une façon ou d’une autre –et apparemment pour toujours– par ces relations, et par cet enfantement. La notion plus récente, d’un être humain polyvalent dont le caractère essentiel, et le rayonnement des agissements, ne seraient plus déterminés, uniquement, par la division biologique des rôles sexuelles, était pour l’instant presque inouïe, en dépit de quelques exemples frappants connus de tous (comme une Marie Curé dans la recherche scientifique, ou une George Eliott dans la littérature).

De plus, sous l’enseigne du militarisme montant, même cette ébauche d’exploration subjective était largement répudiée dans une demande impérative aux femmes modernes d’offrir leurs fils et leurs maris en chair de canon; et une demande également impérative (en plus de fabriquer les obus requis sur la champ de bataille) de se consacrer au devoir sacré d’offrir une progéniture maximale au service de la Patrie. L’image offerte à ce moment, alors, aux femmes comme modèle identitaire, était surtout celle de la femme féroce et fière des Spartes –tant étudiée sur les bancs d’école pendant cette période– des femmes qui se disaient les seules au monde à s’enfanter de vraies hommes; des femmes qui demandaient froidement, à leurs fils, aucune faiblesse: qu’ils rentrent à la maison victorieux, ou qu’ils ne rentrent pas du tout (“en portant leurs boucliers”, selon les Moralia de Plutarque, 49 – 125 A.D, “…ou couchés dessus”).

La femme, contemporaine des exploits d’Helen Keller, était ainsi retenue: par la nature, dans la spécificité de sa biologie; par la société, dans un ensemble légal qui l’empêchait de fonctionner de façon adulte et autonome; et finalement, par la conjoncture politique ponctuelle, qui demandait qu’elle exprime sa ferveur patriotique par un enfantement maximal, conçu en geste guerrier, et représenté comme l’équivalent féminin du sacrifice demandé des hommes, sur le champ le bataille.

Cependant (et nonobstant), Helen, elle-même, faisait partie de cette petite fraction, parmi la gent féminine d’antan, qui répudiait délibérément (ou par nécessité) les formes décrites ci-haut; qui s’obstinait à se représenter personnellement plutôt que d’accepter les modèles littéraires et politiques proposés par les hommes autour (quelque soit leur sympathie pour la condition féminine); et qui auraient ultimement obtenu gain de cause dans leurs revendications d’égalité: dans un degré absolument inconcevable pour les témoins de leur génération, et même pour tout dire, bien au-delà de leurs propres espérances.

Alors, il est peut-être difficile de voir, à notre distance temporelle et à première vue –à travers la délicatesse toujours soigneusement étudiée de son style d’écriture féminine du début du siècle dernier– mais une fois dépassé ce premier niveau de sensibilité conventionnelle, nous nous trouvons devant une dureté sans compromis: la frêle forme de la fille prodige, sourde-aveugle de classe dominante, est habitée, en fait, par quelque chose d’entièrement différente. Helen Keller, dans son caractère de femme, que ce soit délibérément, ou par l’effet de son destin particulier, dépassait de loin son époque immédiate. Visiblement, elle répondait d’une image romantique du lexique néo-primitive, encore bien plus radicale et bien plus pur: celle de la véritable femme d’action, à l’image d’une Jean d’Arc, la Pucelle Armée; et même, si je ne me trompe pas: celle de la Valkyrie, ce modèle iconique, sorti de la préhistoire nordique, d’une femme idéale, maîtresse des forets, des mers, et des champs de bataille, dont elle partagerait, avec les héros masculins, les mêmes gloires et les mêmes dangers.

— Une contradiction quelque peu décevante dans les conclusions annoncées

Mais n’est-il pas toujours vrai que cet esprit supérieur, tant révolutionnaire au niveau de ses habilités –et de son sexe– le serait tout autant face aux grands enjeux ponctuels ? Au sujet de la Guerre et de la Paix ? Au sujet de l’humanité, et de la protection des victimes ? Ne peut-on pas présumer qu’un tel caractère s’érigerait, avec toute la force de sa nature, en opposition aux excès tragiques de son époque ?

Et bien malheureusement, si notre but n’est pas uniquement de louanger notre héroïne présente, mais également, de porter sur son caractère un regard plus profonde (et plus honnête): la réponse, je crois, ne serait pas si évidente.

.

La Reine des Fées (Faerie Queene), Edmund Spenser (1552 – 1599). Publié 1590, d’une superbe virtuosité poétique, une grande inspiration pour les romantiques du dix-neuvième: ce livre fut le premier conservé uniquement en forme imprimée, aucun manuscrit ayant survécu. Illustration (1897) de Walter Crane (1845 – 1915)

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre: Un personnage politique tout à fait extraordinaire : Féministe, Marxiste, et Eugéniste — Helen Keller et le Pacifisme: une tactique ponctuelle des révolutionnaires internationalistes)

La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915

Chapitre : Rendre conditionnel ce qui se présente en absolu

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV : La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre : Rendre conditionnel ce qui se présente en absolu)

— Des attentes confortables, qui se révèlent illusoires

Pendant plusieurs siècles –en dépit des dissensions de la Reformation, en dépit des découvertes de Newton, en dépit des assauts révolutionnaires des “Philosophes” (Voltaire, Rousseau, etc.)– elle s’est développée une conviction confortable que rien de cela ne pouvait menacer les principes premiers à la base de notre évolution civilisationnelle. Et la raison en été tout simple: malgré les discussions animées des détails cosmiques, personne, ou à peu près (et certainement pas Newton, Voltaire, Rousseau, ni Darwin), ne doutait qu’il existe bel et bien un ordre universel d’intention bienveillante. Malheureusement, cependant, cette révolution dans la pensée ne resterait pas là. Et si je pouvait offrir une image pour symboliser la situation des intellectuels, au début du vingtième siècle, ce serait celle des citoyens Français, cinquante ans plus tard, au cours de la “Drôle de Guerre” qui dura de septembre 1939, à mai 1940.

Pour rappeler les faits: la Deuxième Guerre Mondiale était bel et bien déclarée pendant ces huit mois, mais l’ennemi, Allemand, était totalement occupé ailleurs, avec l’assujettissement de la Pologne. Les Français savaient, certes, qu’ils étaient “en guerre”; mais puisque les forces armées se cantonnaient dans une posture défensive, les hostilités restaient suspendus en attente d’une offensive adverse. Et pendant ce temps, les habitants civils continuaient à vivre dans une réalité trompeuse de normalité paisible. Or, les intellectuels, du début vingtième, partageaient une psychologie très similaire: car les hostilités étaient de longue date déclarées (autour de la légitimité de tout axiome social dérivé de source empiriquement invérifiable) mais les protagonistes, même, ne soupçonnaient pas encore la portée réelle du conflit; et les véritables bombes (métaphoriques) n’avaient pas, encore, commencé à tomber.

Helen Keller, aussi, fut de cette trempe, car elle était une personne intensément spirituelle (et même franchement mystique). Elle nous apprend, par exemple, que toute petite fille, elle était directement consciente de la présence de Dieu: dans son isolement de sourd-aveugle, sans suggestion d’autrui, et sans avoir des mots pour décrire l’expérience, puisque à ce moment, elle n’avait encore aucune connaissance des mots. En conséquence, elle considérait l’expérience immédiate, du Divin, comme une partie inné de son être, et inséparable, de son expérience de vivre.

Elle serait, donc, la dernière personne à vouloir contester l’autorité Divine, ou le notion du « sacré ». Cependant, Mlle Keller faisait aussi parti de ce nombre qui entreprenaient, sous le signe du renouveau moderne, l’exploration de sectes limitrophes à la théologie chrétien; des esprits indépendants qui se félicitaient, dans les courants contemporains de la pensée, de pouvoir se libérer des préjugés, et des erreurs sectaires du passé. Autrement dit, elle en était un de ceux-là, très nombreux à l’époque, qui croyait pouvoir manier l’arme du scepticisme scientifique, sélectivement, de sort qu’elle ait pu marier sa foi, essentielle, à n’importe quel enthousiasme passager; en réaffirmant (ou en reniant) des articles spécifiques de croyance, au besoin des contingences. Elle se rallia, en particulier, à la mode ambiante de spiritualité non-sectaire, empreinte de naturalisme et de neo-primitivisme nordiques, qui était tant caractéristique de son époque. Et de toute apparence, elle se croyait ainsi capable de combiner évolution et création, ou encore (puisqu’il faudrait aussi se rappeler le Socialisme de Mlle. Keller): l’âme conscient particulier et l’esprit du peuple collective.

— Droits humains “inaliénables”, versus intérêts collectifs: une incompatibilité irréductible

À la première vue, alors, nous aurions facilement cru pouvoir placer Helen Keller au même rang avec Voltaire et Renan, Jefferson ou Franklin; mais la réalité s’avère plus complexe à l’étude. Car si les Déistes étaient simplement des penseurs trop curieux, et trop instruits, pour créditer les histoires de la bible en vérités intégrales, ils partageaient toujours l’essentiel de la vision humaine qui s’y exposait. Mlle Keller, par contre, représentait une nouvelle cohorte d’intellectuels dont les conclusions divergeaient, les unes des autres, de façon beaucoup plus substantielle, surtout au sujet de l’être humain, face aux idéologies de souche collective.

Pour être précis (et même si ces faits ont souvent été évités comme conclusion franche): il serait plutôt évident que les droits personnels dits « inaliénables » (dont la Déclaration d’Indépendance se porte garant) ne peuvent aucunement s’accorder avec un modèle sociétal où l’intérêt collectif prime, systématiquement, sur celui de l’individu. Et puisque ces droits, constitutionnels, sont présentés uniquement en vérités “évidentes par elles-mêmes” (sous l’autorité d’un “Créateur” qui soit lui-même d’existence invérifiable), ils sont devenus de plus en plus vulnérables aux critiques des empiristes-matérialistes. Inévitablement, alors, ces droits, et les idées à leur base (ainsi que l’influence civilisationnelle, tant extraordinaire, communément portée à leur crédit), sont devenus la cible –et souvent fatalement– des violents révolutions que nous nous devions de cataloguer dans la suite.

Et c’est ainsi, que dans l’année mille-neuf-cent-quinze AD (ce qu’on appelait toujours, à ce moment, Anno Domini—l’année de Notre Seigneur), cent-trente-neuf ans après l’articulation du principe fondateur d’égalité, dans la Déclaration d’Indépendance, et cinquante-deux ans après sa réaffirmation, sur le champ de bataille à Gettysburg (au point tournant d’une guerre civile ayant coûté la vie à quelque huit-cent-milles combattants): Helen Keller, l’enfant prodige, sourd et aveugle –elle-même fière fille du Sud– aurait eu l’audace d’y porter atteinte, délibérément et savamment (mais aussi, je crois, en ignorant la portée réelle du coup), en ciblant directement son point le plus faible: soit la notion traditionnelle de valeur inhérente –ou sacrée– à la vie humaine).

“Ce sont les possibilités de bonheur, d’intelligence, et de pouvoir, qui donnent à la vie son caractère sacrée; et elles sont absentes, ces possibilités, dans le cas d’une pauvre créature malformée, paralysée et idiote.”

“… Une vie humaine est sacrée seulement quand elle peut se montrer d’une utilité quelconque, envers elle-même, et envers le monde.”

— Helen Keller, 1915

— Une doctrine d’exclusion dont le tort principal serait non spécifique, mais général

D’après Mlle Keller, mystique et socialiste (et alors la parfaite incarnation de l’ambiguïté de son temps): certaines personnes (c’est à dire: celles qui étaient relativement restreintes dans leurs “possibilités” de “bonheur, “d’intelligence” et de “pouvoir” — celles dont les vies n’étaient aucunement “utiles”) pouvaient être exclues de l’égalité présomptif; exclues de la dignité, exclues du respect, et exclues des protections à la vie qui en serait dérivées.

Voilà l’articulation franche, et non-ambiguë, d’une idée très influente au sujet de la valeur des vies (et des personnes) imparfaites; une idée largement répandue dans les préjugés populaires, autant autrefois que de nos jours. Et puisque l’un de nos thèmes principaux concerne le sort des personnes malades et handicapées (face au phénomène discriminatoire de l’euthanasie), nous y retourneront bien-tôt. Cependant, la première signification de cette déclaration ne se limite pas aux intérêts de ces gens, mais se montre d’une portée sociale beaucoup plus large: elle se trouve dans le simple fait de faire cette assertion (que quiconque puisse être exclu des droits de la personne), en générale, et sans se préoccuper des critères retenus.

— Sexes, races, classes: une discrimination potentielle dont aucune groupe spécifique ne serait à l’abri

Tel que remarqué, les déclarations d’égalité traditionnelles sont couchées dans des termes universels. Et avec cause: car c’est uniquement cet aspect inconditionnel qui offre la promesse de vrais droits, dans le cas particulier. Nous voyons, ainsi, une étroite connexion entre l’universalité des droits, et leur caractère déclaré « inaliénable ». Car décidément: créditer la redéfinition contextuelle, d’un droit proclamé « inaliénable », relève du pur non-sens! Et manifestement: l’universalité, incontestée, demeure le seul moyen d’échapper, définitivement, à cette difficulté.

Par contre, une fois admis le principe que certaines personnes puissent être exclues de la dignité humaine (suite à l’application de définitions particulières), et il deviendrait apparent, aussi, que des définitions subséquentes puissent en exclure d’autres, de sort que –à la fin– absolument personne ne bénéficierait de quelque garantie que ce soit.

Or, ce ne sont pas, non plus, des considérations uniquement théoriques.

Au contraire, toute notre histoire en aurait été très fortement (et parfois très péniblement) marquée par l’opération de ces contradictions. Car à travers le long chemin qui nous ait mené vers la recognition légale des droits, des personnes issues des classes inférieures et des races minoritaires (ainsi que des femmes, et encore plus récemment, des homosexuels): les adversaires de ces droits auraient toujours tenté d’établir des conditions particulières, pour exclure les groupes visés. Or, dans chaque cas, ce fut uniquement la revendication, directe, de l’application intégrale du principe universel, qui ait permis les victoires réalisées; un appel aux droits, inséparables de toute vie humaine en vertu de son origine: droits absolus, de source immuable.

Ce fut un principe universellement admis parmi les populations judéo-chrétiennes, en théorie, depuis plus de deux millénaires (même s’il fut aussi longtemps imparfaitement assimilé); et servait, pendant tout ce temps, comme axiome premier dans l’élaboration évolutive de la superstructure de notre société actuelle. Et pourtant! Avec son appel à l’infanticide sélectif, Mlle Keller, s’attaqua simultanément au caractères « universel » et « inaliénable » de l’égalité des personnes, et cela, avec des implications, pour le futur, qui promettaient de se révéler aussi significatives qu’imprévisibles.

Car si Helen Keller pouvait s’accorder ce droit, il s’ensuivrait logiquement que d’autres puissent en faire autant; de sorte que la nature du “sacré”, dans la vie humaine, risquait de devenir un simple sujet de discussions ponctuelles, de polémiques, de compromis politiques –voir de déclarations arbitraires– avec toutes les associations négatives que cela puissent évoquer à la lumière de notre expérience, plus récente, de tournants sombres de l’histoire. Et de ce fait, elle était parvenue, tel que nous l’ayons constaté plus haut, à remettre en cause tout l’édifice des droits de l’homme moderne. Rien de moins.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV :La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: Collectivisme utilitaire: les raisons économiques pour suggérer l’euthanasie des enfants handicapés)